Pour les milliers de jeunes contestataires dont le sit-in dure depuis des mois à Sanaa, la «révolution» est loin d'être terminée malgré l'accord de transition conclu entre le président yéménite Ali Abdallah Saleh et l'opposition.

La frange radicale de ces «Jeunes de la révolution», qui ont déclenché le mouvement de protestation contre le chef de l'État en janvier, accuse même les partis traditionnels de l'opposition à forte connotation tribale, d'avoir récupéré leur mouvement pour se tailler une part du gâteau.

Sur la place du Changement où il campe depuis des mois, Hammoud Hazzah affirme que les jeunes «n'ont pas d'autre option que la révolution».

«Nos principales revendications sont de ne pas accorder l'immunité à Saleh, la chute de tous les symboles du régime et l'instauration d'un État moderne», affirme ce membre du «Rassemblement des jeunes de la révolution».

Or cet accord, signé le 23 novembre à Ryad, accorde l'immunité au chef de l'État et à ses proches. M. Saleh, au pouvoir depuis 33 ans, demeure président à titre honorifique pour une période de trois mois, au cours de laquelle le pouvoir doit être assumé par son vice-président, Abd Rabbo Mansour Hadi.

Des milliers de jeunes continuent à passer la nuit sur la «Place du Changement», un immense camp de toile installé devant l'Université de Sanaa et qui s'est étendu aux ruelles environnantes, dans le nord de la capitale.

Le camp qui a fleuri en février est devenu une petite ville, avec son podium, ses étals vendant des vêtements civils et militaires, des sandwiches ou des jus de fruits, et même un souk de qat, la plante euphorisante que mâchent quotidiennement les Yéménites.

L'ardeur révolutionnaire des jeunes ne s'est pas calmée après la signature de l'accord de transition, et certains commencent même à transformer leurs tentes en constructions en dur.

«Nous poursuivons notre sit-in car nous sommes convaincus que Saleh n'appliquera pas l'accord de transfert du pouvoir», affirme Khaled Al-Assal, l'un des meneurs du mouvement de contestation.

Khaled al-Madani, responsable du groupe de jeunes de la rébellion zaïdite chiite participant au sit-in, accuse l'opposition d'avoir «détourné la révolution et trahi le sang des martyrs, afin d'avoir sa part du gâteau».

«Notre révolution est aussi une révolution contre le tribalisme et pour le progrès (...) Je sais que nous sommes contre tout le monde, le président, l'opposition parlementaire, les grandes puissances qui parrainent l'accord de transition», dit pour sa part Bassam al-Asbahi, un militant qui se présente comme indépendant.

Il explique que les jeunes sont divisés entre les partisans des partis de l'opposition parlementaire, et notamment l'influente formation islamiste al-Islah, et les indépendants, plus radicaux.

«Une partie des dirigeants d'Al-Islah, dont ceux d'obédience tribale, ne soutiennent pas vraiment nos demandes», affirme-t-il.

Mais c'est le richissime chef tribal cheikh Hamid al-Ahmar, un influent dirigeant d'Al-Islah, qui nourrit (depuis des mois) les protestataires: des cuisines qu'il finance distribuent chaque jour des repas chauds --riz aux épices et viande et poulet-- aux milliers de protestataires.

«Les partis de l'opposition parlementaire ont une base populaire réelle au Yémen, sans laquelle la contestation n'aurait pas pu se poursuivre», explique l'analyste Fares al-Saqqaf, directeur du centre des études de l'avenir à Sanaa.

«Ces partis savent bien que c'est le mouvement de ces jeunes qui a poussé le président Saleh à signer l'accord. Les jeunes constituent par conséquent une réserve stratégique sur laquelle s'appuieront les formations politiques pour faire pression sur le président, afin qu'il applique l'accord», estime-t-il.