L'économie palestinienne explose, mais cette croissance ne tient qu'à un fil. Il suffirait de peu pour tout faire dérailler. Des sanctions économiques, par exemple, comme celles qui menacent de s'abattre sur la Cisjordanie et Gaza après la demande d'adhésion à l'ONU.

Le 27e étage de la tour Palestine s'ouvre sur une perspective vertigineuse. Autour de nous, des collines, des villages, quelques implantations israéliennes. Au loin, la silhouette escarpée de Jérusalem. Et tout en bas, les rues de Ramallah qui serpentent entre des maisons de pierres et des terrains vagues.

«Dans quatre ou cinq ans, nous ne verrons plus un seul espace libre dans cette ville», prédit le promoteur immobilier Ibrahim Rahman Shkhadem.

Ce millionnaire qui a fait fortune en Amérique centrale et aux États-Unis a entrepris de construire le premier gratte-ciel de Cisjordanie.

Avec les délais de livraison imposés par Israël et la lourdeur de la bureaucratie palestinienne, la construction s'étire depuis six ans. Mais le jour J approche. La tour de verre et de granit rose qui abritera six cinémas, un hôtel cinq étoiles, un centre commercial et un restaurant tournant doit ouvrir ses portes au début de 2012.

Il n'y a pas si longtemps, Ramallah était encore une ville marquée par la guerre: traces de balles sur les murs, façades couvertes de photos des «martyrs».

Mais depuis que le premier ministre palestinien, Salam Fayyad, a entrepris de jeter les fondements d'un futur État palestinien, la métropole de la Cisjordanie a tourné le dos au passé. Graffitis et murs lézardés ont cédé la place à des rues fraîchement asphaltées et des places coquettes pourvues de fontaines.

Chaque mois, de nouveaux restaurants ouvrent leurs portes. Ils portent des noms étrangers, comme La Rose ou Café de la Paix. Le menu s'occidentalise. Salade de roquette et pâtes aux coeurs d'artichaut font concurrence aux kebabs et mezze.

Des feux de circulation ont apaisé le trafic dans les rues, où circulent des voitures flambant neuves. Plusieurs ont été achetées à Ramallah même, où une dizaine de concessionnaires se sont installés depuis deux ans: Mazda, Peugeot, BMW...

Chez Nissan, nous sommes reçus par Imad Abou Nimreh, vendeur de 28 ans qui a travaillé quelques années au Qatar, dans le pétrole. De retour à Ramallah, il n'en revient pas: «C'est plein de restaurants, et le salaire est meilleur que dans les pays du Golfe.»

Autre avantage: il y a désormais une vie nocturne vibrante à Ramallah. Le soir, on sort. Et pas seulement pour fumer la chicha entre garçons.

Au club Quattro, garçons et filles jouent aux quilles et boivent des cappuccinos dans un café-bar baignant dans une lumière bleutée. Parmi eux, les jumeaux Amar et Moussa. Ils ont 26 ans et étudient en comptabilité. L'un soutient l'initiative devant l'ONU, l'autre la trouve trop risquée: et si elle devait mener à une autre guerre?

Car Amar et Moussa veulent bien manifester pour soutenir la cause palestinienne. Mais la lutte armée, non merci...

Direction modernité

Mohamed Al Sabawi a émigré au Canada en 1985. Établi à London, en Ontario, il est revenu investir dans son pays natal.

Ces temps-ci, il est en train de ficeler un projet ambitieux: 62 condos à 20 minutes au nord de Ramallah.

Son modèle, ce sont les quartiers clôturés à l'américaine. Son but: «Rehausser les normes d'habitation palestiniennes.» Les condos se vendent entre 160 000 et 300 000$. Plus de la moitié ont déjà trouvé preneur.

Un peu plus au nord, des camions transportent des matériaux destinés à la construction de Rawabi, ville palestinienne de 40 000 habitants qui doit être érigée à partir de zéro - du jamais vu depuis la création d'Israël.

Tous ces investissements ne sont-ils pas hasardeux, alors que le conflit avec Israël est moins réglé que jamais? Ibrahim Rahman Shkhadem admet qu'il prend un risque avec son gratte-ciel.

Mais si tout va bien, il y a de l'argent à faire à Ramallah: «C'est une toute nouvelle ville qui est en train de naître!»

Accès Hébron

Une affiche collée sur un mur de la mairie d'Hébron, ville la plus populeuse de la Cisjordanie, montre une cigarette rayée d'un trait rouge: il est strictement interdit de fumer ici.

Ce rare espace sans fumée est révélateur du virage lancé par le maire Khaled Ossaileh, qui a entrepris de faire entrer Hébron dans le XXIe siècle.

Nommé en 2007 par le président Mahmoud Abbas, Khaled Ossaileh projette précisément l'image dont les Palestiniens ont besoin pour convaincre la planète qu'ils sont prêts à administrer leur État.

Les projets abondent à Hébron. Écoliers et sportifs foulent le gazon artificiel du tout nouveau stade de football. La ville s'est aussi dotée d'un gymnase et d'un centre culturel de 10 millions, avec théâtre et école de musique.

Cette ville célèbre pour ses querelles avec un groupe de colons juifs veut détourner ses jeunes de la violence. «Avant, les gars traînaient dans les rues, aujourd'hui, ils jouent au foot», dit le gérant du stade, Eid Asailey.

Le maire Ossaileh se targue de diriger l'administration municipale la plus efficace de Palestine. Une aire d'accueil pour citoyens, une sorte d'«Accès Hébron», vient d'être aménagée à l'hôtel de ville. «Le temps d'attente maximal est de cinq minutes», dit l'employée Houda Badera, après avoir écouté un citoyen mécontent de son avis d'imposition. Elle soupire: «Les gens ne comprennent pas que les services, ça se paie.»

Et il n'y a pas qu'Hébron. Depuis deux ans, l'Autorité palestinienne a fait construire une vingtaine d'écoles, a formé la police qui donne un sentiment de sécurité à Ramallah.

Les Palestiniens sont-ils prêts à diriger leur État? Oui, dit la Banque mondiale dans un rapport selon lequel «les institutions palestiniennes se comparent favorablement aux autres pays de la région».

Mais Houda Badera tempère notre enthousiasme: «Nous serons prêts à avoir notre pays dès que le gouvernement sera capable de payer nos salaires...»

La bulle

La relance palestinienne repose sur trois facteurs: le démantèlement de plusieurs barrages israéliens, l'accès récent au crédit, et aussi, pour beaucoup, l'aide internationale.

Au cours des derniers mois, les donateurs ont été moins généreux. Et l'Autorité palestinienne a plongé dans le rouge.

En juillet, les employés publics n'ont pas été payés. En août, leurs salaires ont été rognés de moitié. L'employé des Postes Mohammed Shahada n'a reçu que 300$ à sa dernière paie: «Parfois, j'achète la nourriture à crédit», confie-t-il.

Les économistes ont ajusté leurs pronostics. En 2011, la croissance sera de 7%, au lieu de 9%. Ça paraît beaucoup, mais les Palestiniens partent de loin. Et leur reprise a peut-être déjà atteint ses limites: selon la Banque mondiale, l'économie palestinienne est aussi développée que possible, compte tenu des restrictions israéliennes.

«C'est vrai qu'il y a plus d'autos neuves dans les rues de Ramallah, mais ce n'est qu'une bulle», dit le consultant d'une organisation humanitaire. Si la demande palestinienne d'adhésion à l'ONU devait être suivie de sanctions, cette bulle risque d'éclater.

L'économie palestinienne en chiffres

> La Cisjordanie a une population de 2,6 millions, contre 1,5 million pour la bande de Gaza.

> Les estimations de croissance économique pour ces deux territoires ont été ramenées de 9 à 7% pour 2011.

> L'essentiel de cette croissance est dû à l'allègement du blocus israélien contre Gaza où l'économie a connu un bond de 28% en 2011. Ce bond est attribuable surtout à la reprise de la construction, bloquée depuis cinq ans.

> Le chômage a chuté dans les deux territoires, mais demeure très élevé. Il est de 15% en Cisjordanie et de 25,6% à Gaza (où le chômage frôle les 40% chez les 15-29 ans).