Ils imitent le président palestinien. Se moquent du conflit avec Israël. Du Hamas. De la société. Mais les artisans d'une émission satirique très populaire dans les territoires palestiniens semblent être allés trop loin aux yeux du gouvernement. Leur émission, inusitée dans le monde arabe, a été retirée des ondes.

Dans un décor rudimentaire, une femme pleure la mort de son bébé, victime d'une erreur médicale. Un médecin arrive. Ils négocient âprement une compensation financière, clin d'oeil à une certaine «justice informelle». Témoin de la scène, un visiteur consulte discrètement la femme. Il cherche le «meilleur» médecin pour sa belle-mère.

Cette capsule de la populaire émission palestinienne Watan ala Watar (Une patrie sur la corde raide) a soulevé l'indignation des médecins, malgré son style indubitablement humoristique. Leur syndicat a déposé une plainte au procureur général palestinien.

Celui-ci a retiré cette semaine l'émission des ondes de la télévision publique. Elle était présentée quotidiennement pendant le ramadan - neuvième mois du calendrier musulman - et une fois par semaine le reste de l'année.

Watan ala Watar était diffusée depuis 2009 et s'est attiré un grand public et un nombre important de détracteurs. «L'émission a réussi à créer une unité entre le Hamas et le Fatah. Tous les deux sont contre!» lance à la blague le journaliste culturel Yousef Shayeb, en référence aux groupes au pouvoir dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, qui semblent toujours loin de la réconciliation annoncée.

En plus du syndicat des médecins, le dirigeant de la police a aussi déposé une plainte récemment. L'an dernier, c'était le chef de la brigade anticorruption.

Décision «honteuse»

L'auteur de l'émission satirique, qui parodie un journal télévisé d'une dizaine de minutes, a qualifié la décision du procureur général de «honteuse». «Comme peuple, nous demandons notre liberté de l'occupation (israélienne), pas de nous-mêmes, dit Imad Farajin. Maintenant, nous devons demander au gouvernement palestinien aussi pour avoir la liberté.»

Il dit ne jamais s'être limité sur les sujets à traiter, même si certaines questions, comme la religion, restent plus «sensibles».

Les trois créateurs de l'émission, inspirée de leurs spectacles sur scène, sont conscients de jouer sur la corde raide. Mais la comédienne Manal Awad croit que les dés étaient pipés et qu'ils faisaient l'objet d'une campagne de salissage avant même la reprise des capsules quotidiennes au début du mois. «Dès le premier épisode, il y a eu des attaques, une campagne de boycottage sur Facebook, des articles contre nous», dit-elle.

Elle dit ignorer qui en sont les auteurs, mais croit que les soulèvements dans le monde arabe incitent l'Autorité palestinienne à agir contre la liberté d'expression. «L'Autorité palestinienne sait que nous sommes efficaces et ils ne veulent pas que nous devenions la voix qui a un effet sur les gens», avance-t-elle. Jamais auparavant elle n'avait fait l'objet de censure, même si elle avoue que c'est une pratique «assez courante» en Cisjordanie, particulièrement dans les médias.

Corde sensible

Il n'a pas été possible d'obtenir la réaction de l'Autorité palestinienne sur le sujet.

Dans une entrevue téléphonique, le directeur adjoint du syndicat des médecins s'est défendu de manquer d'humour, mais affirme que Watan ala Watar a dépassé les bornes. «Les mensonges véhiculés par cet épisode (sur les médecins) nous ont rendus furieux, a dit le Dr Shawqi Sabha. Même si nous savons que les satires décrivent habituellement des situations de façon extrême, cette description était incorrecte, n'était pas drôle et était dommageable à l'image d'une des professions les plus nobles, la profession médicale.»

Le sujet a touché une corde sensible dans un contexte particulièrement houleux entre le syndicat des médecins et l'Autorité palestinienne.

Pour l'instant, les artisans de Watan ala Watar continuent à présenter leurs sketches sur scène. «Nous allons nous moquer de cette histoire», précise Manal Awad.