Depuis quelques jours, des centaines de familles syriennes fuient leur pays, par la frontière libanaise ou turque, à cause de la répression menée par le régime de Bachar al-Assad. Notre collaborateur au Liban a rencontré certaines de ses familles et recueilli leurs témoignages troublants.

À Boukayaa, petit village libanais situé dans la région vallonnée de Wadi Khaled, le temps semble s'être arrêté. Des femmes aux voiles colorés cultivent les champs, les hommes transportent les marchandises à dos d'âne, les gamins jouent dans les rues, imperturbables. Un calme trompeur.

De l'autre côté de la rivière qui longe Boukayaa, le Nahr el Kebir, se trouve le village d'Aarida, en Syrie. On peut aisément franchir la frontière entre les deux pays en empruntant un petit pont de pierre, contrôlé par l'armée libanaise. C'est par ce point de passage, souvent utilisé par les contrebandiers, que Zeina et 12 membres de sa famille ont fui en panique la semaine dernière la ville syrienne de Tall Kalakh, à 3 kilomètres de la frontière.

«Nous avons à peine eu le temps d'emporter quelques vêtements, nous ne pouvions plus rester. Les balles ont fusé toute la nuit, les enfants étaient terrorisés, nous les avons endormis avec des somnifères», raconte la jeune femme.

«Ce dernier mois a été horrible, nous n'avons jamais connu une telle violence», explique, les larmes aux yeux, une jeune maman de la même famille qui souhaite garder l'anonymat. «Des hommes en civil sont venus en pleine nuit chez les gens les accusant de cacher des armes. Ils emmènent les hommes sans explications et nous n'avons plus de nouvelles pendant des jours.»

Zeina raconte l'histoire d'un de ses voisins, qui travaillait au Liban, et qui est venu rendre visite à sa femme qui accouchait. «C'était il y a trois semaines, il marchait dans la rue, les Moukhabarat (les services secrets) lui ont demandé de s'arrêter, il n'a pas obtempéré, alors ils l'ont abattu», explique-t-elle, montrant une photo du jeune homme sur son portable, enrobé d'un drap vert, dans un cercueil.

À Tall Kalakh, ville de 25 000 habitants, les manifestations ont commencé il y a un mois en solidarité avec Deraa, ville symbole de la contestation au régime syrien. Puis elles ont dégénéré à l'approche des manifestations de vendredi dernier, proclamé «vendredi de la colère», à la suite de la brève arrestation d'un cheikh influent.

«Près de 2000 femmes et enfants ont fui en 2 jours Tall Kalakh. Chaque maison libanaise a accueilli une famille», explique Mahmoud Khazaal, ancien maire de Mkaybleh, un village voisin de Boukayaa.

Au-delà des revendications de liberté, c'est bien la fin du système Assad qui est réclamée. «Nous voulons la chute du régime», explique sans détour Zeina, avec une certaine fierté. Mais les rancoeurs semblent aussi avoir pris une dimension confessionnelle, une chose encore impensable il y a quelques mois.

Tall Kalakh en est un bon exemple: la ville est à 90% sunnite, mais entourée par des villages alaouites. Une minorité à laquelle appartient la famille Assad, et qui représente environ 12% de la population.

«Les habitants alaouites ne tuent pas les gens, mais ils informent les services de renseignements, eux-mêmes alaouites, qui traquent les sunnites», soutient une jeune femme réfugiée avec sa soeur à Bouqayaa.

Depuis une semaine, l'armée semble avoir encerclé la ville. «Ils ont tiré sur les réservoirs d'eau, coupent parfois l'électricité et les communications», explique la jeune femme. Depuis dimanche, un calme relatif semble s'être installé à Tall Kalakh, permettant à une partie des familles de rentrer chez elles. Mais de nouvelles manifestations sont prévues dans les prochains jours. «Vous pouvez être presque sûr que les familles vont de nouveau venir se réfugier au Liban», affirme Mahmoud Khazaal.