Le récent assassinat du gouverneur du Pendjab par un policier qui l'escortait a semé la peur chez les figures libérales pakistanaises, dont les voix paraissent faibles face aux bruyants et nombreux groupes religieux conservateurs qui les menacent.

L'apparente facilité avec laquelle Mumtaz Qadri, un policier qui a avoué son crime, a abattu Salman Taseer, une des figures du Parti du peuple pakistanais (PPP) au pouvoir, début janvier dans le centre d'Islamabad, a horrifié, voire réduit au silence, la petite élite libérale pakistanaise.

Le meurtre a montré le fossé entre cette dernière et une partie de l'opinion publique, représentée par les dizaines de milliers de personnes qui ont manifesté depuis pour soutenir l'assassin à l'appel de responsables religieux qui se sont publiquement félicités de la mort de Salman Taseer.

«Des sociétés qui applaudissent à de telles actions finissent par sombrer», a prévenu mercredi le vice-président américain Joe Biden, de passage à Islamabad.

Mumtaz Qadri a justifié son geste par le fait que Taseer était favorable à une réforme de la loi qui prévoit la peine de mort pour les coupables de blasphème contre l'islam, défendue bec et ongles par les religieux.

Salman Taseer avait publiquement soutenu Asia Bibi, une mère de famille chrétienne condamnée à mort pour blasphème en novembre dernier.

En décembre dernier, après une série de manifestations en faveur de la loi, le gouvernement avait déclaré qu'il n'avait pas l'intention de la modifier.

Le ministre des Minorités, le chrétien Shabhaz Bhatti, qui fut le premier à évoquer cette réforme, se considère désormais comme comme «la première cible».

Déjà régulièrement menacé de mort ces derniers mois, il a vu avec effroi, après la mort de Salman Taseer, ces menaces devenir «publiques», certains mollahs ayant même appelé à sa décapitation, sans que le gouvernement ne condamne leurs propos.

Interrogé sur sa sécurité, il assure ne pas trop se fier aux dispositifs de protection, et qu'il continuera à travailler comme avant.

Des membres du PPP ont dénoncé des failles dans la protection de Taseer.

Selon les enquêteurs, Qadri, soupçonné de liens avec des islamistes, avait été par le passé retiré de la liste des gardes affectés à la protection des personnalités de premier plan.

«Nous enquêtons pour savoir comment il a pu de nouveau être affecté à cette tâche», a déclaré à l'AFP un responsable de la police d'Islamabad, Haroon Joya.

Selon des responsables de sécurité, les contrats des gardes du corps de personnalités sont réexaminés tous les trois ans par le gouvernement.

Après l'assassinat de Taseer, les autorités ont décidé de réviser les procédures dans tous les services de sécurité, et de réexaminer le profil de tous ceux qui travaillent avec des personnalités de premier plan.

Parmi ces dernières figure l'ancienne ministre de l'Information Sherry Rehman, qui avait déposé en novembre un projet de loi prévoyant l'abolition de la peine de mort pour les cas de blasphème.

«Je suis sûre que tout le monde au sommet de l'État est inquiet au vu de la menace et du niveau de sécurité actuel», a déclaré à l'AFP Mme Rehman depuis sa résidence hyper sécurisée de Karachi, où 50 000 personnes ont manifesté dimanche dernier en soutien à Mumtaz Qadri.

Elle dit utiliser ses propres gardes - et non des agents gouvernementaux - qui lui ont conseillé de rester chez elle.

«Je ne suis pas imprudente, mais je vais être rationnelle (sans pour autant) me dérober», dit-elle. «J'ai déposé le projet de loi, mais ce n'est pas une position extrême, je ne demande pas son abrogation totale. Ils (les extrémistes) ne peuvent pas décider de ce que l'on dit ou fait».