Le meurtre de sang-froid du gouverneur du Pendjab, une des figures politiques modérées les plus en vue au Pakistan, est un rude coup porté au camp libéral et montre la forte progression des idées islamistes dans toutes les couches de la société, soulignent les analystes.

Sur des photos prises juste après qu'il ait, selon la police, criblé de balles le corps de Salman Taseer mardi à la sortie d'un café chic d'Islamabad, un rictus déforme le visage barbu de Malik Mumtaz Hussain Qadri, qui s'était arrangé pour assurer ce jour-là la protection de sa victime.

Après avoir crié «Allahu Akbar» et vidé son chargeur sur M. Taseer, il s'est rendu en avouant avoir tué le gouverneur car celui-ci était partisan d'une modification de la loi sur le blasphème, défendue par les conservateurs, selon la police. Accusé de meurtre, violence et terrorisme, le policier sera déféré jeudi devant un tribunal anti terroriste, ont précisé ses avocats.

Qu'il ait agi seul ou non, le fait qu'un membre d'une unité d'élite du gouvernement puisse partager l'idéologie des extrémistes religieux montre à quelle point celle-ci a gagné en profondeur la société.

«Ce meurtre prouve que les extrémistes n'ont pas besoin de faire partie des talibans, avec barbe et turbans. Ils sont présents partout et sous toutes les apparences», écrivait mercredi le quotidien en anglais The News.

Le pays a peu a peu glissé dans l'islamisation au cours des dernières décennies, favorisée par son soutien aux moudjahidines afghans combattant au nom de l'islam l'«infidèle» envahisseur soviétique.

Après la chute des talibans en Afghanistan, les zones tribales pakistanaises frontalières du nord-ouest sont devenues le repaire des rebelles islamistes et de leurs alliés d'Al-Qaïda. Et une partie de la toute-puissante armée pakistanaise est accusée de soutenir les extrémistes.

Le taux d'alphabétisation y est d'à peine 50% en moyenne. Et l'absence d'éducation gratuite universelle pousse les enfants les plus pauvres dans des milliers d'écoles coraniques (madrasas) aux discours extrémistes.

«Le virus a infecté toute la société. Et ni le système éducatif ni les politiciens ne sont capables d'élaborer un antidote», déplore Zafarullah Khan, directeur du Centre d'étude indépendant pour l'éducation civique.

Membre du Parti du peuple pakistanais (PPP) au pouvoir, Salman Taseer était l'un des rares hommes politiques pakistanais à s'être prononcé, à l'unisson des organisations de défense des droits de l'Homme, en faveur d'une modification de la loi qui prévoit jusqu'à la peine de mort pour les coupables de blasphème.

Mais face à la levée de bouclier des cercles religieux, forts de manifestations et d'une grève générale à succès fin décembre, le PPP, pourtant de tradition séculière, a indiqué qu'aucune réforme n'était à l'ordre du jour.

Mercredi, Jang, le plus important quotidien du pays en ourdou, a publié en première page un appel lancé par 500 responsables religieux invitant la population à ne pas pleurer la mort de M. Taseer.

Dès mardi soir, plusieurs milliers d'utilisateurs du réseau social en ligne Facebook s'étaient déjà déjà félicités de cet assassinat, symbole aux yeux des analystes que le courant islamiste a gagné les populations les plus éduquées.

Cet assassinat «est un grave revers pour les forces démocratiques au Pakistan», souligne le militant libéral et avocat à la Cour Suprême Anees Jillani, car il a «instillé la peur au sein de la population, et même au sein des médias, ce qui est une évolution très grave».