Un premier ministre réformateur assassiné. Un jeune policier enquêteur déterminé. Une enquête internationale qui piétine. Des suspects du «parti de Dieu», qui ne reculent devant rien pour imposer leur loi. Le réseau CBC a révélé cette semaine que des preuves lient le Hezbollah à l'assassinat de Rafic Hariri. Pourtant, après plus de cinq ans d'enquête, aucune accusation n'a encore été portée. Pourquoi? Dix éléments cruciaux pour comprendre ce dossier complexe.

1. Rafic Hariri

Ancien premier ministre libanais. Après avoir fait fortune en Arabie Saoudite, ce musulman sunnite a dirigé cinq gouvernements au pays des Cèdres entre 1992 et 2005. Avant son assassinat, il avait entrepris de renvoyer chez elles les troupes militaires syriennes postées au Liban et de désarmer la milice chiite Hezbollah.

2. L'attentat de l'hôtel Saint-George

Le 14 février 2005, alors que le convoi blindé du premier ministre circule sur la route en bord de mer à Beyrouth, une camionnette explose près de l'hôtel Saint-George. Rafic Hariri et 21 autres personnes sont tuées.

3. Le Hezbollah

Le «parti de Dieu», musulman chiite, est puissant dans le sud du pays et entretient de forts liens avec la Syrie et l'Iran. À maintes reprises, les soupçons ont publiquement pesé sur le Hezbollah. Si bien que celui-ci s'est appliqué ces derniers mois à qualifier le Tribunal de «pro-Israël» et a menacé de «couper la main» de ceux qui tenteraient d'arrêter un de ses membres.

4. Le Tribunal spécial sur le Liban (TSL)

Très vite après l'assassinat d'Hariri, l'ONU et le Liban ont mis conjointement sur pied un tribunal spécial chargé de juger les auteurs du crime. Contrairement aux tribunaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie ou le Rwanda, le Tribunal spécial sur le Liban permet la tenue de procès en l'absence des accusés. Une façon, note la professeure de droit de l'Université Laval Fannie Lafontaine, de permettre à la justice d'aller de l'avant même si les accusés sont en fuite. «Mais s'il est impossible d'arrêter et de juger les accusés, observe Mme Lafontaine, on peut douter qu'on puisse appliquer le verdict.»

5. Daniel Bellemare

Troisième procureur général à mener l'enquête pour accuser les assassins d'Hariri. Ancien sous-procureur général adjoint du Canada. Très discret, il a dit cet automne avoir bon espoir de déposer des accusations avant la fin 2010. «Je déposerai des accusations quand je serai prêt, pas une minute trop tôt, pas une minute trop tard», a-t-il déjà dit en entrevue. Mais les sources près de l'enquête, dans le reportage de la CBC, ont eu des mots très durs à son égard, lui reprochant sa lenteur et son apparente inaction. Cette semaine, M. Bellemare a critiqué le reportage, alléguant que les informations diffusées pouvaient «mettre la vie de certaines personnes en danger».

6. Wissam Eid

Il n'avait jamais voulu être policier ou détective. Mais cet ingénieur en informatique, repéré durant son service militaire, s'est retrouvé intégré à l'équipe d'enquêteurs du Tribunal spécial sur le Liban. Il a commencé par consulter tous les numéros de cellulaires qui ont été repérés le matin du 14 février dans les environs de l'hôtel Saint-George (voir point 7). Ses découvertes ont été consignées dans un premier rapport... que l'ONU a perdu pendant un an et demi. Finalement, en janvier 2008, l'ONU commence à s'intéresser aux conclusions de Wissam Eid et le rencontre. Huit jours plus tard, Wissam Eid meurt dans l'explosion de sa voiture. Ses assassins n'ont jamais été arrêtés.

7. Le réseau «rouge»

Le capitaine Wissam Eid est mort, mais ses recherches demeurent. Dans les documents révélés par la CBC, le policier a identifié plusieurs réseaux téléphoniques, dont six téléphones cellulaires qui ne communiquaient qu'entre eux et qui n'ont plus jamais été utilisés après l'attentat du 14 février: le réseau «rouge». Tous les téléphones sont en contact avec une ligne terrestre située dans un hôpital contrôlé par le Hezbollah.

8. Wissam al-Hassan

Ancien chef de la sécurité de Rafic Hariri. Le 14 février 2005, il n'était pas aux côtés du premier ministre. Son alibi? Il suivait des cours à l'université et son professeur l'avait avisé d'un examen de dernière minute la veille de l'attentat. Mais à l'heure où il devait être en examen et où son téléphone était éteint, avait-il dit aux enquêteurs il a fait 24 appels. Malgré les soupçons qui pèsent sur la véracité de son alibi, Wissam al-Hassan n'a jamais été fait l'objet d'une enquête par les procureurs du Tribunal spécial sur le Liban, selon la CBC. Il est aujourd'hui chef des services secrets libanais.

9. Des preuves suffisantes?

Fady Fadel, professeur de droit à l'Université Antonine de Beyrouth, estime que l'enquête de la CBC montre surtout la difficulté d'obtenir des preuves solides pour déposer des accusations. «Le grand défi est de ne pas s'appuyer seulement sur le réseau d'appels téléphoniques, qui est une preuve circonstancielle. Il faut lui accrocher d'autres éléments de preuves pour donner plus d'importance et de rigueur.»

10. Justice sera-t-elle rendue?

Plus de cinq ans ont passé depuis l'assassinat d'Hariri. Le premier ministre Said Hariri, fils de Rafic, s'est rapproché de la Syrie, dont les gouvernants ont été parmi les premiers suspects responsables de l'attentat. Le Hezbollah promet de la violence si des accusations devaient le viser. Le spectre de la guerre civile (1975-1990) n'est pas loin. Dans les circonstances, plusieurs doutent que justice soit jamais faite sur cette affaire. Ou qu'elle devrait être faite. «C'est tout le débat entre la paix et la justice», observe Fannie Lafontaine. «Est-ce qu'accuser des gens pour avoir commis des crimes participe au processus de paix? Ou est-ce un obstacle?»