En août 2008, l'armée géorgienne tente de reprendre la province séparatiste d'Ossétie du Sud. Moscou envoie son armée pour défendre les Ossètes et préserver son influence dans la région, puis poursuit sa route jusqu'aux portes de la capitale de la Géorgie. «Nous aurions facilement pu conquérir Tbilissi. Mais nous ne l'avons pas fait. Parce qu'à ce moment, nos cerveaux ont commencé à fonctionner. Et nous nous sommes rappelés la leçon afghane.»

Aleksander Razoumov a passé deux ans de sa vie dans le bourbier afghan, de 1985 à 1987. C'était au plus fort de la guerre entre l'Armée rouge et les moudjahidines. Militaire de carrière, parachutiste, il avait 30 ans lorsqu'il est parti au front. En majorité, les soldats soviétiques conscrits et mal entraînés n'avaient qu'entre 18 et 20 ans.

Aleksander Razoumov est rentré au pays avec deux blessures et plusieurs décorations. Quinze mille de ses frères d'armes ont plutôt fait le voyage de retour dans un cercueil de zinc, s'ils n'ont pas été directement enterrés sur le sol afghan ou été mangé par les charognards.

«L'Afghanistan nous a donné une sérieuse leçon de bravoure», dit M. Razoumov, aujourd'hui petit homme d'affaires à Moscou et président de l'Union panrusse des vétérans de l'Afghanistan.

Selon lui, la férocité de la résistance afghane a eu raison des ambitions impérialistes russes pour des décennies. «Je ne crois pas que nos dirigeants oseront lancer une autre action aussi stupide d'ici longtemps.» Hormis lors de la guerre éclair russo-géorgienne, la Russie post-soviétique n'a été impliquée directement dans aucun combat à l'extérieur de ses frontières.

Vols, viols, meurtres

Aleksander Razoumov n'a aujourd'hui plus de doute: l'invasion soviétique de l'Afghanistan était une erreur monumentale et est en grande partie responsable de la chute de l'URSS en 1991. Mais à l'époque, il a pris du temps à le réaliser.

«J'étais un soldat, «un combattant internationaliste» comme on nous appelait. Je remplissais les ordres.» Ce n'est qu'une fois sur le terrain qu'il a constaté que les militaires étaient loin de seulement «planter des pommiers dans les villages», comme l'assurait la propagande à la population soviétique.

Plusieurs soldats combattaient avec courage et mourraient pour l'idéal communiste. Mais d'autres volaient, violaient et tuaient des civils innocents. Lorsque leurs agissements ont été révélés vers la fin des années 80, les «Afghans» sont devenus des parias. Ils revenaient non seulement d'une guerre jugée inutile par une opinion publique de plus en plus libre, mais en plus, ils étaient des criminels.

S'ils ont aujourd'hui droit aux maigres avantages sociaux qu'offrent la Russie et les autres ex-républiques soviétiques à leurs vétérans, les «Afghans» n'ont jamais bénéficié de la reconnaissance du peuple. Contrairement aux «héros défenseurs de la patrie» de la Seconde guerre mondiale, les monuments en leur souvenir sont rares et humbles.

Rencontre avec les talibans

Plusieurs «Afghans» sont revenus de la guerre avec des séquelles psychologiques importantes. Pas Aleksander Razoumov. Il y a neuf mois, il est même retourné en Afghanistan pour tourner un documentaire. Il y a rencontré d'anciens moudjahidines, devenus députés, mais aussi des talibans.

«Ils m'ont demandé: «Pourquoi vous ne nous aidez pas, vous les Russes? Si vous nous envoyiez des armes, nous pourrions rapidement en finir avec les Américains et les foutre dehors de notre pays.» Je ne leur ai rien répondu. Mais je sais que si on commence cela, [les talibans] iront encore plus loin, dans les républiques ex-soviétiques d'Asie centrale», route de prédilection pour l'héroïne afghane.

«Si les Américains partent, c'est nous qui ramasseront les problèmes à nos frontières», prévient M. Razoumov. Le président Dmitri Medvedev semble d'accord avec lui. Samedi dernier au sommet de l'OTAN à Lisbonne, il s'est engagé à faciliter le transit de l'équipement destiné aux troupes menées par les Américains et à fournir 21 hélicoptères à l'État afghans.

Aleksander Razoumov croit que la Russie aidera de son mieux l'OTAN en Afghanistan dans l'avenir, d'autant plus qu'il en va de son propre intérêt. Une seule chose est à exclure: l'envoi de soldat. «On ne peut pas gagner contre des fanatiques.»

Retour sur une défaite

Le 24 décembre 1979, l'Armée rouge lance l'opération Chtorm 333 (aussi appelée «Prague») et envahit l'Afghanistan. Au début de l'opération, les soldats soviétiques prennent assez facilement le contrôle de la majeure partie du pays. Mais rapidement, la résistance se forme. Avec l'aide secrète des Américains, les moudjahidines afghans lancent une guerre sainte contre l'occupant soviétique. Les soldats de l'armée afghane désertent en masse. Les Rouges s'embourbent. Début 1988, le leader soviétique Mikhaïl Gorbatchev signe une trêve avec le moudjahidine Ahmad Chah Massoud. Le 15 février 1989, quelque 15 000 soldats et 1,2 million d'Afghans tués plus tard, défaite, l'Armée rouge quitte définitivement l'Afghanistan.