En décidant de boycotter les législatives, les islamistes semblent vouloir se constituer en opposition «musclée» en dehors du Parlement jordanien et déplacer le jeu politique hors du cadre institutionnel, un exercice susceptible de déstabiliser le royaume, selon des analystes.

«Des islamistes de poids veulent dorénavant former une opposition musclée qui dépasserait les lignes rouges», traditionnellement respectées dans leurs relations avec l'État, explique à l'AFP le directeur du Centre d'études privé Al Qods, Oreib Rantaoui.

«Si cela devait se réaliser, nous serions devant une ère nouvelle qui permettrait aux plus extrémistes de radicaliser leur idéologie et leurs discours», estime ce chercheur.

Un ancien responsable jordanien craint pour sa part qu'«un boycott du législatif par les islamistes et une montée des enchères mènent à une action dans la clandestinité, qui à terme risque de déstabiliser le pays».

En revanche, le ministre de l'Information, Ali Ayed, n'est «pas inquiet d'un tel scénario». «Nous respectons la liberté d'expression, mais elle doit rester dans le cadre de la loi», a-t-il déclaré à l'AFP.

Le Front de l'action islamique (FAI), principal parti d'opposition en Jordanie, et les Frères musulmans, boycottent les législatives qui ont lieu mercredi pour protester contre la loi électorale, approuvée en mai, qui a maintenu un système uninominal à un tour.

Le directeur du Centre d'études stratégiques de l'Université Jordanienne, Nawaf Tell, impute ce boycott à des «rivalités internes» au sein du mouvement islamiste.

«Le chef du Hamas (palestinien) Khaled Mechaal a encouragé les islamistes jordaniens à participer aux élections afin de garantir des alliés au sein de la Chambre. Cela a créé des divisions au sein du mouvement, les plus durs ayant opté pour la participation et les "colombes" préférant le boycott pour contrecarrer les directives du Hamas», explique M. Tell à l'AFP.

Les islamistes jordaniens sont proches du Hamas, alors que le gouvernement soutient le mouvement Fatah du président palestinien Mahmoud Abbas, en conflit avec la formation islamiste qui contrôle la bande de Gaza.

Pourtant, au début du processus de démocratisation en Jordanie, les islamistes avaient participé en masse aux premières législatives en novembre 1989, et obtenu 30% des sièges de la Chambre.

Depuis, leur présence a décliné au sein du Parlement, alors que leur influence grandit.

Les islamistes imputent cela à l'adoption du système uninominal instauré en 1993, selon eux dans le but de limiter leur présence dans la Chambre, un an avant la signature du traité de paix entre la Jordanie et Israël.

«La Jordanie, alliée des États-Unis et qui dépend de l'aide financière de pays occidentaux, ne peut se permettre d'avoir un Parlement ouvertement hostile à l'Occident», souligne l'ancien responsable jordanien, s'exprimant sous le couvert de l'anonymat.

La Jordanie traverse une crise économique aiguë, avec un déficit budgétaire record de 2 milliards de dollars et une dette extérieure de 11 milliards de dollars, soit près de 60% du PIB.

Les islamistes appellent à des réformes -- mais ce ne sont pas les mêmes que celles promises par le pouvoir en place, qui s'est engagé à moderniser le pays en donnant plus de droits aux femmes et en libéralisant le marché.

«Les islamistes tablent sur la nouvelle génération. Ils ont ouvert des écoles privées qui privilégient les cours de religion et imposent le voile aux étudiantes», relève l'ancien responsable, mettant en garde contre «cette tentative de contrôle de l'éducation par les islamistes».