Ils sont arrivés 45 minutes en retard. Les embouteillages, se sont-ils excusés. Le centre-ville de Kaboul est chroniquement congestionné.

Ils étaient deux: Mohammad Roshan, porte-parole de l'Association des compagnies de sécurité privées, et Mohammad Qaswer, de chez Watan, une des plus importantes firmes de sécurité. Elle appartient aux frères Popal, des cousins du président Hamid Karzai.

Ils étaient là pour défendre leur pain et leur beurre. Ils s'indignaient parce que Karzai a décrété, en août, que toutes les firmes privées doivent cesser leurs activités. Karzai les met à la porte du pays. Elles ont quatre mois pour plier bagage. Pas un de plus. Depuis, c'est la panique.

L'industrie de la sécurité privée nageait dans l'argent et les contrats. Avec son décret, Karzai lui coupe les ailes. Il existe 52 firmes de sécurité en Afghanistan, la moitié appartient à des Afghans, l'autre à des étrangers, surtout américains et britanniques. Ces 52 firmes détiennent un permis. Selon M. Roshan, une bonne vingtaine opère illégalement.

Watan et l'Association n'ont jamais donné d'entrevue. Le milieu de la sécurité est plutôt secret. Ils croyaient que Karzai bluffait. Ils étaient convaincus qu'il changerait d'idée, mais la semaine dernière, ils ont reçu une lettre du gouvernement leur demandant de ne renouveler aucun contrat.

Ils ont décidé de parler. Ils n'ont plus rien à perdre, se sont-ils dit.

Les firmes privées sont partout. Elles gardent l'aéroport, les bâtiments officiels, les ONG, les ambassades, les maisons privées, les routes, les autoroutes et les convois qui transportent le ravitaillement des troupes de l'OTAN.

C'est une industrie multimillionnaire qui emploie 40 000 gardiens à dans tout le pays. Près de 90% d'entre eux sont afghans.

À Kaboul, il y a 294 ONG et 46 ambassades. De 15 000 à 20 000 étrangers environ travaillent dans la capitale. Presque tous emploient des gardes privés. On les voit partout: aux portes des édifices et dans les rues. Ils déambulent dans leur 4x4, lunettes fumées sur le nez, fusil pointé.

À partir du 1er janvier, ils disparaîtront du décor afghan.

«Nous avons été très surpris par la décision de Karzai, dit Mohammad Roshan. On ne comprend pas, on a investi des millions ici. Nos clients sont très inquiets. Que va-t-il arriver aux 40 000 gardiens? La plupart sont des anciens militaires ou des combattants moudjahidines. Tout ce qu'ils savent faire, c'est manier un fusil.»

Les compagnies privées n'ont pas toujours bonne réputation. Pour certains, les gardes ne sont que des mercenaires Leur image a été sérieusement ternie lorsque la firme américaine Blackwater a été impliquée dans une fusillade en Irak en 2007. Une quinzaine de civils avaient alors été abattus.

Mohammad Roshan défend ses membres. Il admet que «certaines firmes ont peut-être mauvaise réputation, mais tous les pays du monde ont besoin de gardes de sécurité. Surtout l'Afghanistan».

Qui va les remplacer?

Selon le décret de Karzai, les gardes pourront rejoindre la police afghane. Certains croient qu'ils iront plutôt grossir les rangs des talibans.

Le chef de la police de Kaboul, Abdul Rahman Rahman, nuance ces propos. Les gardes deviendront peut-être des policiers spéciaux qui relèveront du ministère de l'Intérieur. Ou de lui. Il l'ignore. Pour l'instant, il se plaint du manque d'effectifs.

«À Kaboul, il n'y a que 2 policiers pour 1000 habitants, alors qu'il devrait y en avoir au moins 6 pour 1000.»

Il se plaint aussi du manque de formation de ses hommes. La plupart sont analphabètes. Pour devenir policier, ils n'ont qu'à suivre une formation de deux mois. Rien de plus. Et ils sont payés 10 000 afghanis par mois (230$).

Photo: Reuters

Un homme armé monte la garde devant une succursale de la Banque de Kaboul à Herat.