Les derniers incidents graves à la frontière afghano-pakistanaise illustrent la tension entre les États-Unis et le Pakistan, alliés cruciaux, mais ambigus, de la guerre contre l'islamisme taliban.

Washington s'évertue à ménager Islamabad, jurant que les deux gouvernements combattent Al-Qaïda «côte à côte», malgré une cascade d'indications contraires depuis une semaine.

Le Pakistan a d'abord fermé le principal point de passage en Afghanistan des convois de ravitaillement militaire américain, après la mort de trois soldats pakistanais tués le 30 septembre par un hélicoptère américain de l'Otan.

L'incursion de cet appareil s'ajoutait à une campagne sans précédent de tirs de drones américains contre les zones tribales, que le Pakistan a jugée «non justifiée».

En représailles, les talibans ont incendié au moins 120 camions d'équipements ou de carburant destinés aux forces internationales en Afghanistan en une semaine.

Le chef américain de l'Otan a présenté des excuses pour l'incursion de l'hélicoptère. Mais au même moment, la Maison Blanche accusait l'armée pakistanaise, dans un rapport au Congrès, d'éviter «les affrontements directs» avec les talibans afghans et les militants d'Al-Qaïda.

D'après Ashley Tellis, de la fondation Carnegie, «c'est parce que les États-Unis pensent que le Pakistan ne va pas s'en prendre aux sanctuaires qu'ils s'attaquent plus énergiquement à l'insurrection».

En retour, l'intensification des tirs de drones renforce le profond sentiment anti-américain parmi la population pakistanaise, plaçant Islamabad en porte-à-faux.

Les analystes interrogés par l'AFP soulignent aussi que le Pakistan fait la guerre à certains groupes talibans installés sur son sol, mais en préserve d'autres, y compris parmi ceux qui s'en prennent aux troupes de l'Otan en Afghanistan.

L'échéance d'un possible début de retrait des troupes américaines d'Afghanistan, à partir de l'été 2011, est au coeur de ce jeu complexe pratiqué par certains hauts responsables pakistanais.

Pour eux, explique l'ancien diplomate américain Dan Markey, certains des talibans «seront les meilleurs atouts pour rebâtir une influence pakistanaise en Afghanistan», et ainsi contrer l'Inde, l'ennemi historique.

Ces conflits d'intérêts et de priorités entre Washington et Islamabad sont anciens.

Pour tenter de les résoudre, l'administration Obama a accompagné ses renforts militaires en Afghanistan d'une vaste campagne diplomatique en direction du Pakistan, incarnée par deux voyages remarqués de la secrétaire d'État Hillary Clinton, et surtout par le vote d'une aide américaine record de 7,5 milliards de dollars.

Les États-Unis ont aussi pris la tête de l'effort international pour limiter les effets des inondations qui ont frappé le Pakistan cet été.

Washington fait pour l'heure profil bas. Robert Gibbs, le porte-parole de la Maison Blanche, a ainsi salué jeudi la «pression» à laquelle l'armée du Pakistan soumet Al-Qaïda dans les zones tribales.

C'est de l'une de ces régions, le Waziristan du Nord, qu'émaneraient des projets d'attentats en France, en Grande-Bretagne et en Allemagne.

L'Inde et les États-Unis sont tout aussi menacés, indique Micah Zenko, du Conseil des affaires étrangères (CFR).

«Je ne sais pas pendant combien de temps encore l'administration Obama pourra tolérer un tel niveau de menace», s'interroge-t-il. Et en tout état de cause, «une attaque sur le sol américain obligerait l'administration à changer d'approche» vis-à-vis du Pakistan.