Plus de cinq ans après l'assassinat de l'ancien premier ministre libanais Rafic Hariri, aucune accusation n'a encore été portée. Cela alimente les rumeurs, au Pays du cèdre, sur la compétence et l'indépendance du Tribunal spécial sur le Liban mis sur pied par l'ONU. Mais son procureur, le Québécois Daniel Bellemare, met les choses au clair: pas question de porter des accusations sans détenir une preuve solide.

Dans une rare entrevue publiée mardi dans Now Lebanon, Daniel Bellemare répond aux rumeurs qui s'attaquent à la crédibilité du Tribunal spécial sur le Liban (TSL). «J'ai lu des articles qui disaient que certaines personnes ont vu l'acte d'accusation. Je veux le dire clairement: l'acte d'accusation n'a pas encore été rédigé. Comme je l'ai déjà dit, je le rédigerai quand je serai certain que les preuves sont suffisantes.»

Combien de temps cela prendra-t-il encore? Daniel Bellemare a bon espoir que des accusations seront déposées avant la fin de l'année. Pour l'heure, dit-il, il doit s'assurer que la preuve recueillie sera admissible en cour. «C'est la clé. Si je rédige un acte d'accusation et qu'il n'y a pas de preuve, toute la structure s'effondre et nous serons dans le pétrin. Je veux m'assurer qu'il y a le plus de preuves convaincantes possible.»

Syrie et Hezbollah

Le premier procureur du TSL avait évoqué dès 2005 la possible implication de la Syrie dans l'assassinat de Hariri, mais les accusations n'ont pas suivi. Daniel Bellemare, ancien sous-procureur général adjoint du Canada, a pris la tête du TSL en 2008. Il travaille aux Pays-Bas, sa sécurité étant trop menacée au Liban.

Il est resté, contrairement à ses prédécesseurs, très discret sur le déroulement de l'enquête. Mais la lenteur du processus suscite de l'impatience et alimente les rumeurs.

Les médias libanais ont notamment faussement annoncé une inculpation imminente de membres du Hezbollah, organisation chiite pro-syrienne. Le leader du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallah, accuse de son côté Israël d'être responsable de l'attaque et a diffusé des images qui, selon lui, prouvent que des drones israéliens survolaient le lieu de l'attentat. Daniel Bellemare confirme avoir reçu ces images, qu'il ne prend pas à la légère.

Une poudrière

La situation politique du Liban est «tellement fragile» que la publication de l'acte d'accusation pourrait avoir de sérieuses répercussions, observe Henry Habib, spécialiste du Moyen-Orient à l'Université Concordia. «Un crime ne doit pas rester impuni. Mais, en même temps, il faut être conscient des conséquences qui peuvent accentuer les divisions.» Le pays se remet petit à petit de la guerre civile et des affrontements avec Israël, souligne-t-il. «On ne peut vraiment pas se permettre une autre guerre civile.»

En entrevue, Daniel Bellemare se dit conscient des tensions qui habitent les Libanais, mais il ne permet aucune ingérence politique dans son enquête. «Celui qui connaît ce dossier, c'est moi. Les gens doivent s'en souvenir. À moins qu'ils puissent lire dans mes pensées, le reste n'est que pure conjecture.»

Rafic Hariri: 

Premier ministre libanais à cinq reprises entre 1992 et 2004, Rafic Hariri, musulman sunnite, a bâti sa fortune en Arabie Saoudite. Son gouvernement est tombé en octobre 2004 à la suite de pressions exercées par la Syrie. Le 14 février 2005, son convoi circulait sur une route en bord de mer à Beyrouth lorsqu'il a été attaqué. Il avait 60 ans. Son fils, Saad Hariri, est l'actuel premier ministre.