Fatima sera redevable aux Américains toute sa vie. Ahmed les détestera pendant longtemps. Leurs destins respectifs, scellés au cours des dernières années dans un Bagdad sous occupation, illustrent bien le rapport complexe qu'entretiennent aujourd'hui les Irakiens avec les soldats américains.

Frappée par des câbles électriques, violée et affamée par son mari, Fatima a vu son calvaire prendre fin en 2007. Le ministère de l'Intérieur lui a alors confirmé l'exécution de son conjoint par pendaison.

L'homme, extrémiste sunnite de 20 ans son aîné, membre d'Al-Qaïda, avait été arrêté quelques mois plus tôt par les Américains puis remis à la justice irakienne. Désormais remariée et mère de deux enfants, la jeune femme savoure sa nouvelle vie. «Un rêve inaccessible» rendu possible grâce aux militaires américains, dit-elle.

Au contraire, pour Ahmed, l'amertume à leur égard est très profonde. Son frère, un milicien chiite de l'Armée du Mahdi capturé par les soldats américains en 2006, a été tué par une bombe artisanale alors qu'il se trouvait dans leur blindé en route vers la prison.

«Je ne sais pas ce que nous réserve l'après-occupation, mais une chose est sûre: mes enfants vont être libérés des Américains qui tuent pour se protéger. Si conflit il y a, ce sera entre nous, sans les étrangers», affirme-t-il, amer.

Et pourtant, alors que les troupes de combat américaines se retirent, les Irakiens doutent plus que jamais de la paix et la stabilité.

La multiplication ces deux derniers mois des attentats et des assassinats après une embellie sécuritaire laisse craindre un retour aux pires violences sectaires.

Contre un départ prématuré

Chef de bataillon à l'est de la capitale, le colonel Mohamed a la lourde tâche d'éradiquer les groupes armés de son secteur.

Des ennemis sans visage qui, aidés par les voisins, entendent profiter du vide créé par le retrait américain pour à nouveau imposer leur loi. Aujourd'hui, l'officier redoute que l'Irak ne devienne un champ de bataille de tous les intérêts régionaux.

«Les pays qui nous entourent ont le pouvoir de contrôler l'Irak grâce aux responsables politiques qu'ils ont infiltrés dans toutes les structures de l'État. Les Arabes comme les Iraniens y ont tous de grandes ambitions. Je pense que nous allons devoir affronter une autre guerre», insiste-t-il.

Une crainte fondée qui résonne jusqu'au plus haut sommet de la hiérarchie militaire irakienne. Reconnaissant l'incapacité de ses forces armées à assurer l'entière sécurité du pays, le chef d'État-major de l'armée irakienne, le général Babaker Zebari, s'est prononcé contre un départ «prématuré» des Américains en 2011, date prévue pour le retrait total de l'armée américaine.

Blocages et insécurité

En attendant la date fatidique, les Irakiens ont souvent bien moins d'amertume à l'égard des Américains que de désillusion à l'encontre de leurs politiciens réputés soucieux de leurs intérêts plus que de ceux du peuple.

«La meilleure chose qu'ils aient faite, c'est de nous libérer de Saddam. Notre problème n'est plus tant l'occupation que l'absence d'éthique de nos hommes politiques qui veulent s'enrichir et se foutent des Irakiens», insiste Saad Al Maliki, un employé du ministère du Pétrole.

Lui ne vit qu'avec 180 dollars par mois, contre plus de 8000 pour un parlementaire qui bénéficie de gardes, d'une voiture et d'un logement de fonction avec électricité sans interruption. Un luxe dans un pays où plus d'un tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.

L'absence de gouvernement plus de cinq mois après les élections législatives irrite profondément les Irakiens qui ont défié les bombes pour se rendre aux urnes.

Le blocage politique et l'insécurité, ajoutés à la pénurie d'électricité et d'eau à l'heure où la température dépasse les 50 degrés, sont autant de bombes à retardement après le départ des Américains, prévient le député kurde indépendant Mahmood Othman.

Jeune, dynamique et très prisée des plateaux télévisés, Maryam al Rayes se veut quant à elle plus rassurante. L'avocate voit dans cette «première phase de retrait» les prémices d'«un nouvel Irak».

Une formidable occasion, dit-elle, d'en «finir avec les forces d'occupation pour ne plus donner de prétexte à la résistance». Seules ombres au tableau, dit-elle: le manque de compromis au sein de la classe politique et l'incapacité à connaître les plans de l'ennemi.