Une bataille rangée s'est ouverte en Arabie saoudite sur la question des fatwas, après la promulgation d'avis religieux parfois farfelus comme celui autorisant les femmes à allaiter les hommes pour contourner l'interdiction de la mixité.

Dans les médias et sur l'internet, certains dénoncent le «chaos des fatwas», dans le royaume ultra-conservateur où la religion régit les moindres aspects de la vie quotidienne, et appellent à déterminer qui est habilité à les promulguer.

L'une des fatwas au centre de cette polémique est celle promulguée récemment par un uléma, cheikh Adel al-Kalbani, selon lequel l'islam n'interdit pas la musique.

«Il n'y a pas de texte clair en islam prohibant la musique», a-t-il affirmé, alors que les concerts sont interdits dans le royaume.

Son site internet a été inondé de messages, certains le félicitant pour cette position hardie et d'autres le critiquant.

Au cours des dernières semaines, un uléma de renom, cheikh Abdel Mohsen al-Obeikan, a lui aussi provoqué des remous en estimant qu'une femme pouvait contourner la stricte loi imposant la ségrégation des sexes dans le royaume en allaitant l'homme qu'elle souhaiterait côtoyer.

Cet avis a suscité une vague de protestations dans le royaume, notamment de la part des militantes pour les droits de la femme, et cheikh Obeikan a été tourné en ridicule sur certains forums.

Le même uléma, conseiller à la cour du roi Abdallah, s'est attiré l'ire des conservateurs pour avoir suggéré que deux des cinq prières quotidiennes musulmanes -qui rythment la vie dans le royaume et durant lesquelles tous les commerces doivent être fermés- puissent être combinées lors des grandes chaleurs pour faciliter la vie des croyants.

Les plus hauts dignitaires religieux ont dû intervenir pour tenter de mettre fin à ces polémiques.

Le 25 juin, dans son prêche du vendredi à la Grande mosquée de la Mecque, cheikh Abdel Rahman al-Sudais, un influent religieux, s'est élevé contre «la fraude» dans les fatwas, comparant ceux qui les promulguent à des commerçants écoulant de la marchandise frelatée.

Intervenant dimanche soir dans le débat, le grand mufti du royaume, cheikh Abdel Aziz Al Cheikh, a estimé dans une interview à la télévision que «ceux qui promulguent des fatwas sans être qualifiés doivent être arrêtés».

Interrogé au sujet de la fatwa sur l'allaitement, il a estimé qu'il s'agissait d'un texte islamique ancien relatif à «un cas bien précis» d'un orphelin qui devait être élevé par une famille et qu'il ne pouvait pas être généralisé.

Dans un éditorial publié récemment dans le quotidien al-Hayat, le journaliste saoudien Daoud al-Chiryane a souligné le rôle primordial des fatwas. «Le changement dans les sociétés arabes et musulmanes dépend» de ces édits religieux car «ils peuvent pousser la société vers l'extrémisme comme ils peuvent provoquer l'ouverture et le développement», a-t-il estimé.

«Les gens (...) commencent à changer de mentalité. Beaucoup ont attendu de telles fatwas pendant longtemps», a affirmé à l'AFP l'historien et éditorialiste Mohammad Al Zulfa en référence à Kalbani.

Hamad al-Qadi, un membre du conseil consultatif, a appelé à mettre fin au «chaos des fatwas», estimant qu'il était nécessaire de limiter la promulgation de tels édits au conseil des fatwas relevant de l'État.

Quant à Kalbani, il a souligné dans une déclaration au journal sur Internet Sabq.org qu'il n'autorisait pas toutes les chansons, mais seulement celles qui était «décentes».

«Je ne parle évidemment pas des chansons de Nancy Ajram ou Haïfa Wehbé», les sulfureuses vedettes libanaises, a-t-il souligné.