Cinq jours après l'assaut israélien contre le Mavi Marmara, Israël doit faire face à un autre navire civil cherchant à forcer le blocus de Gaza. Mais les militants irlandais qui ont affrété ce navire affirment qu'ils ne résisteront pas activement à une tentative israélienne d'inspecter leur cargo humanitaire. Le point sur une semaine où la Turquie a pleuré ses morts et où Israël a combattu l'isolement diplomatique.

Q Que s'est-il passé lundi matin à l'aube à bord du Marmara?

R Selon un compte rendu du Wall Street Journal élaboré à partir d'entrevues avec les militants internationaux et les militaires civils, le Mavi Marmara a tout d'abord été abordé par des vedettes israéliennes. Les militants les ont repoussées avec des canons à eau et en lançant des objets divers. Des commandos israéliens ont ensuite été descendus à partir d'hélicoptères sur le pont du Marmara. Pour éloigner les militants, ils ont tiré des balles de peinture. Deux des premiers soldats ont été saisis par les militants, qui leur ont retiré leur arme. Devant la possibilité d'être la cible de tirs de ces deux armes, les commandos ont demandé des renforts, qui ont utilisé des balles réelles. Dans la mêlée, neuf militants turcs membres de l'IHH ont été tués et des dizaines de personnes blessées, dont sept soldats. Le correspondant militaire de la BBC a confirmé cette analyse.

Q Qu'est-ce que l'IHH?

R Fondée en 1995 durant la guerre en Bosnie, la Fondation turque d'aide humanitaire, ou IHH selon l'acronyme turc, a des activités humanitaires dans une centaine de pays, selon le Wall Street Journal. Mais des enquêtes américaines et françaises, consultées en 2006 par un groupe de réflexion danois pour un rapport sur l'IHH, avancent que ces activités humanitaires cachent un recrutement pour les zones de conflits telles que l'Afghanistan ou la Tchétchénie. L'IHH a répliqué à ces allégations en soulignant qu'en 1997, le gouvernement turc a fermé plusieurs organismes islamistes, mais a laissé tranquille l'IHH, rapporte le quotidien new-yorkais. Selon Sami Aoun, politologue à l'Université de Sherbrooke, l'IHH fait partie de la famille des Frères musulmans, comme le parti islamiste au pouvoir en Turquie. L'IHH a payé l'équivalent d'un million de dollars américains pour acquérir le traversier Mavi Marmara.

Q Quels sont les effets du blocus israélien de Gaza?

R Le magazine Foreign Policy a publié un résumé des principaux impacts. La capacité de génération électrique n'est que de 80 mégawatts, contre 140 en 2006, ce qui oblige à des coupures d'alimentation pouvant aller jusqu'à 12 heures par jour; 75 Palestiniens sont morts en 2009 d'empoisonnement au monoxyde de carbone à cause des génératrices ou des feux intérieurs. Les égouts sont hors d'usage, ce qui signifie que plus de 90% de l'eau de l'aqueduc n'est pas potable. Plus de 60% des usines ont fermé et 38% ont réduit leurs activités, ce qui porte le taux de chômage à 42% contre 32% en 2006. Au niveau alimentaire, la malnutrition chronique touche 10% de la population. La moitié des hôpitaux ont été endommagés par les bombardements du début 2009, mais la plupart des dommages n'ont pas pu être réparés. Les tunnels de contrebande vers l'Égypte contrebalancent en partie l'impact de l'embargo, particulièrement pour les produits «de luxe» comme le ketchup et les conserves, dont les prix ont chuté depuis le début de l'année, rapporte le Financial Times.

Q Y a-t-il eu des tentatives de forcer le blocus?

R Au moins une quinzaine de navires ont réussi, mais il s'agissait généralement de navires voyageant seuls. La marine israélienne a inspecté plusieurs de ces navires sans causer d'affrontements.

Q Quels seront les impacts sur les relations d'Israël avec la Turquie?

R «C'est un signal de la Turquie à Israël, estime Gil Troy, historien à l'Université McGill. La Turquie veut être le prochain leader musulman et doit clarifier ses relations avec Israël, qui étaient bonnes depuis plusieurs décennies parce que le pays avait besoin des armes israéliennes pour combattre les Kurdes. Israël a réagi trop fortement, mais la partie n'est pas terminée. La Turquie n'a pas le même complexe d'infériorité que les autres pays musulmans, parce qu'elle n'a jamais été conquise par les puissances occidentales et a même défait l'une d'entre elles, la Grèce, au début des années 20. Alors, elle a peu d'intérêt à cultiver un antagonisme permanent avec Israël.»

Q Quels seront les impacts pour le Hamas?

R Le Hamas est le grand vainqueur du drame, selon Gil Troy de McGill. «Si le blocus est levé, ça justifiera la stratégie du Hamas, dit M. Troy. S'il n'est pas levé, il y a de fortes chances qu'Israël soit isolé et ne puisse se permettre d'être aussi strict dans sa réplique aux attaques de roquettes.» Pour la première fois, Israël a d'ailleurs accepté - en principe - qu'un observateur international soit accepté dans l'équipe d'enquête israélienne sur l'assaut contre le Mavi Marmara. En général, les observateurs internationaux sont critiques d'Israël, donc bénéfiques au Hamas.

Q Quels seront les impacts sur les tactiques navales israéliennes?

R «Paradoxalement, si Israël avait frappé plus fort, il y aurait eu moins de morts donc moins de conséquences diplomatiques, affirme Gil Troy de McGill. Si les vedettes israéliennes avaient immobilisé les navires en détruisant leurs gouvernails, l'objectif aurait été atteint sans problème. Mais même les militants devront changer leurs tactiques. Les militants du prochain navire qui se dirige vers Gaza ont d'ailleurs indiqué qu'ils ne résisteraient pas par la force à une tentative d'inspection israélienne. «Par contre, tant le Wall Street Journal que le New York Times rapportent que la majorité de la population israélienne appuie le raid de lundi.»