La question perturbe les chrétiens du Liban: le projet d'abaissement de l'âge du vote à 18 ans leur fait craindre une réforme progressive du système de partage du pouvoir avec les musulmans auquel ils sont attachés compte tenu de leur déclin démographique.

Près d'un an après l'adoption en conseil des ministres d'un projet de loi visant à abaisser l'âge légal du vote de 21 à 18 ans, ce dossier épineux devait être soumis au vote du Parlement lundi mais la presse s'attendait à l'abstention des députés chrétiens.

«Les chrétiens ont peur que ce projet ne soit une première étape pour repenser l'ensemble du système politique du pays», explique à l'AFP Paul Salem, directeur du centre Carnegie pour le Moyen-Orient basé à Beyrouth.

Au Liban, les fonctions de l'État sont réparties sur une base confessionnelle, à commencer par les plus hauts postes: le président de la République doit être chrétien maronite, le chef du gouvernement musulman sunnite et le président du Parlement musulman chiite.

Autrefois tout-puissants sur le plan politique, avec notamment un président de la République doté de nombreuses prérogatives, les maronites -près de 30% d'une population de quatre millions d'habitants-, ont vu leur pouvoir progressivement s'éroder en raison d'une guerre civile destructrice (1975-1990), d'un faible taux de natalité comparé à leurs concitoyens musulmans et d'une forte émigration.

Et ce sont eux les moins enthousiastes concernant la réforme de l'âge de vote. «Ce projet n'est pas une très bonne nouvelle pour eux», confirme M. Salem.

À la fin de la guerre civile, déjà, les accords de paix de Taëf (Arabie saoudite) avaient instauré la parité entre musulmans et chrétiens au sein du Parlement, où ces derniers étaient jusque-là majoritaires, et le président libanais dispose désormais de pouvoirs limités.

Les maronites craignent maintenant que l'abaissement de l'âge du vote n'encourage des revendications en faveur d'une représentation plus exacte de la réalité démographique au Liban.

«Aujourd'hui, le partage du pouvoir est encore garanti par la Constitution et les musulmans eux-mêmes sont attachés à cet état des choses», affirme Edmond Saab, analyste au quotidien As Safir.

Le premier ministre Saad Hariri s'est voulu rassurant en affirmant lors d'une visite samedi au Vatican que «la parité entre musulmans et chrétiens existe et existera pour toujours. Le Liban est le seul pays arabe à avoir un président chrétien».

«Je voudrais assurer aux chrétiens que nous ne faisons qu'un», a-t-il ajouté lors d'une interview avec le quotidien Corriere della Sera reproduite par son bureau de presse dimanche.

Mais, malgré ces assurances, «beaucoup de chrétiens se demandent si, à l'avenir, les musulmans voudront encore leur accorder la parité alors qu'ils seront de plus en plus minoritaires», explique M. Saab.

Pour le moment, ils tentent de contourner la question de l'abaissement de l'âge de vote, qui ajouterait 50 000 voix chrétiennes contre 175 000 musulmanes, en posant comme condition le fait d'accorder le droit de vote aux Libanais de la diaspora, estimée à au moins le double de la population.

Les responsables politiques chrétiens espèrent ainsi que les membres expatriés de leur communauté (dont le nombre est inconnu en raison de l'absence de statistiques) participeront massivement aux futures élections, compensant ainsi le déséquilibre démographique.