Le président de l'Iran, Mahmoud Ahmadinejad, a déclaré cette semaine à la télé qu'il ne voit pas d'inconvénient à faire enrichir son uranium à l'étranger plutôt que de se doter des équipements pour le faire chez lui, à l'abri des regards. Mais l'Occident reste sceptique: si l'Iran est sérieux, il doit en faire un engagement formel, croient Louise Fréchette, ancienne vice-secrétaire générale de l'ONU, qui vient de publier une importante étude sur l'énergie nucléaire, et Michel Fortmann, professeur à l'Université de Montréal et spécialiste des questions d'armement. Ils ont répondu aux questions de La Presse.

Q: Peut-on voir un signe d'ouverture dans les récentes déclarations du président iranien?

R: Louise Fréchette: Faire des déclarations à la télévision, c'est une chose. Des accords entérinés par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), c'est autre chose. Peut-être signale-t-il une ouverture, mais il est trop tôt pour conclure que le problème est réglé.

 

Michel Fortmann: Depuis le début de la crise, en 2002, les Iraniens se sont montrés extrêmement habiles en diplomatie pour jouer sur les contradictions et les divisions des Occidentaux, pour traîner les pieds et faire semblant d'avancer. Ça fait partie de leur petit jeu.

Q: À quel point le temps presse-t-il avant que l'Iran ne se dote des infrastructures nécessaires pour fabriquer une arme atomique?

R: Louise Fréchette: Je ne suis pas certaine que les observateurs étrangers, même ceux des services de renseignement, aient toute l'information en main pour fixer une date. Tout ce qu'on sait, c'est que les prétentions de l'Iran selon lesquelles son programme d'enrichissement d'uranium vise des fins civiles ne sont pas crédibles. Les Iraniens veulent-ils se rendre au point où ils ont tous les éléments en place pour produire une arme nucléaire quand ils voudront le faire, ou sont-ils en train d'en produire une dès maintenant? Peu de gens sur cette planète peuvent répondre.

Michel Fortmann: D'après les experts, la frontière significative est la capacité des Iraniens d'atteindre un seuil d'enrichissement de 20% de l'uranium. Au-delà de ce seuil, c'est plus facile d'arriver à 80-90%. (NDLR: à des fins civiles, un uranium enrichi à moins de 10% est suffisant.) En décembre, les Iraniens ont prétendu être arrivés à ce seuil, même s'il faut ici distinguer la propagande de la vérité.

Q: Que faire pour forcer l'Iran à se soumettre à des inspections?

R: Michel Fortmann: Il y a des mesures défensives, comme les États-Unis qui comptent installer des batteries de missiles antimissiles Patriot dans des États du Golfe. Il y a aussi toutes sortes de démonstrations militaires qui, à mon avis, envenimeraient la crise. Les principaux instruments sont les sanctions, notamment sur l'importation de l'essence. L'infrastructure pétrolière iranienne est en très mauvais état et sa capacité de raffinage est très faible par rapport aux besoins du pays. L'Iran, qui baigne dans le pétrole, doit importer son essence! Une sorte d'embargo sur l'importation de l'essence serait un moyen de le prendre à la gorge.

Q: Parmi les pays qui négocient avec l'Iran sur le dossier nucléaire (le Groupe des six) se trouve la Chine. Or, la Chine a des intérêts financiers importants avec l'Iran. Est-elle solidaire du reste du groupe?

R: Michel Fortmann: Depuis plusieurs années, la Chine est très vorace en matières premières et en énergie. Elle a des contrats de pétrole et de gaz faramineux avec l'Iran. La Chine n'est pas nécessairement prête à se priver, et les Iraniens le savent. Les Chinois sont les plus difficiles à convaincre d'utiliser des moyens de pression.

Q: En quoi la situation politique houleuse de l'Iran joue-t-elle dans le dossier nucléaire?

R: Michel Fortmann: Depuis l'élection contestée du président Ahmadinejad, son leadership s'est raidi et a mis en évidence les tensions entre ceux qui veulent un rapprochement avec l'Ouest et ceux qui ne le souhaitent pas. Tant que la situation interne ne se sera pas stabilisée, je ne crois pas qu'on puisse s'attendre à un déblocage.