Sur sa machine vrombissante, Monzer Diyya parcourt chaque week-end les 45 km qui séparent le nord du sud de la bande de Gaza pour échapper à l'enfermement du territoire palestinien, le temps d'une virée à moto.

«Chaque jeudi, on se retrouve chez mon copain Samy. On boit un café et on prend la route Gaza-Rafah, en longeant la mer ou en prenant par l'intérieur. Je roule lentement pour allonger le temps de parcours», raconte le motard de 42 ans.

«Quand je conduis ma moto, je me sens pousser des ailes, je suis comme dans un avion», sourit Monzer, un mécanicien passionné de deux-roues.

Mais l'équipée s'arrête à Rafah, à la frontière égyptienne, puisque les habitants de Gaza ne peuvent voyager librement en raison du blocus imposé par Israël depuis 2007 et appliqué aussi par l'Égypte.

Située en bordure de la Méditerranée, le territoire palestinien, d'une longueur de 45 km sur 6 à 10 km de large, vit sous la férule des islamistes du Hamas qui ont délogé par la force leurs rivaux laïques du Fatah en juin 2007.

Pour Monzer, comme pour la plupart des 1,5 million de Gazaouis, l'horizon se limite à la mer et aux clôtures de sécurité qui encerclent l'enclave.

Seule ouverture: les tunnels de contrebande situés sous la frontière avec l'Égypte, par lesquels transitent toutes sortes de marchandises, y compris les deux-roues, autrefois inconnus ou presque dans la bande de Gaza.

«Les motos sont un phénomène récent ici. Avant 2007, il n'y en avait pas plus d'une dizaine. C'était un objet étrange. La plupart venaient d'Israël», témoigne Monzer.

Aujourd'hui, l'entretien des motos constitue, avec les générateurs électriques, la principale source de revenus du mécanicien, dont l'échoppe est courue à Gaza pour la qualité de ses réparations.

«J'ai appris la mécanique auprès de mon père. Ca fait quinze ans que je fais ça. Mais aujourd'hui, on manque de tout. La situation n'est pas bonne. On est au bout du rouleau», se plaint Monzer.

Il est en train de fabriquer un joint de culasse en carton à l'aide d'une clé de treize.

«Le joint va durer un an, c'est mieux que rien. Ca va revenir à quelques centimes, contre une dizaine de shekels (2,5 euros) si je le fais venir de l'étranger via les tunnels. Si on attendait qu'Israël nous procure les produits qui manquent, tout le pays s'arrêterait de marcher», râle-t-il.

Aujourd'hui, on compte plus de 10 000 motos dans la bande de Gaza, pour la plupart des modèles chinois.

«Une moto coûte 550 euros en Égypte. À Gaza, de 800 à 1 000 euros. C'est un moyen de transport rapide et peu coûteux. Les gens les préfèrent à la voiture», explique le mécano.

«Elles ne coûtent pas cher et consomment peu d'essence», renchérit Mustafa al-Khatib, un épicier de 35 ans, propriétaire d'une moto depuis un an.

«Avec la crise économique, les gens n'ont pas d'argent pour une voiture», ajoute Khaled Abderrahmen, 63 ans, un fonctionnaire du ministère de l'Intérieur du Hamas, qui a acheté son scooter il y a un an et demi.

Mais dans un territoire tout plat où la circulation routière est anarchique et le code de la route approximatif, l'arrivée massive des motocyclettes s'est accompagnée d'une hausse des accidents.

«Il ne se passe pas un jour sans que les hôpitaux ne reçoivent des blessés à la suite d'accidents de moto», confirme le docteur Mouawiyya Hassanein, chef des services d'urgence de la bande de Gaza. «Depuis l'arrivée des motos en 2007, nous avons enregistré 147 tués et 750 blessés.»

Pour endiguer l'hécatombe, le Hamas tente d'imposer le permis de conduire, le port du casque et il a interdit les motos aux mineurs, largement en vain.

«Les jeunes sont responsables de beaucoup d'accidents», déplore Monzer, «mais à moto, on est dans un autre monde, on se sent libres.»