Les enfants d'une base militaire et d'un complexe gouvernemental afghans situés au coeur de la ville de Kandahar possèdent sûrement l'un des plus étranges terrains de jeu au monde.

Ils se hissent sur des tanks rouillés, utilisent une tourelle encore en mesure de pivoter comme manège et se pendent la tête en bas à un canon transformé en cage à grimper.

Le châssis renversé d'une arme de guerre maintenant non identifiable s'est muée en glissade alors qu'un morceau de métal en équilibre précaire sert de balançoire à bascule.

Le jeu du «Roi de la montagne» devient celui du «Roi du tank» alors que les garçons et les filles se bousculent pour atteindre le sommet, gambadant sur les vestiges métalliques avec une insouciance qui terrifierait la plupart des parents d'Amérique du Nord.

Le rouge et le jaune éclatants des vêtements des fillettes contrastent avec les bruns et les verts ternes de leurs jouets géants.

Ces épaves sur lesquelles ces bambins s'amusent sont les reliques d'un conflit passé, l'héritage laissé par un empire dont l'expérience en sol afghan a mal tourné.

Des douzaines de tanks soviétiques, de véhicules blindés destinés au transport des troupes, de camions militaires et divers canons lourds, certains presque en parfait état, d'autres en morceaux et brisés, sont éparpillés sur la base, véritable dépotoir militaire.

Ces lieux constituaient le principal front dans le sud de l'Afghanistan pour l'Union soviétique, dont les neuf années passées à soutenir le gouvernement communiste de Kaboul ont été aussi sanglantes que dévastatrices sur le plan économique.

En dépit de ce vaste déploiement de force, l'insurrection des moudjahidines a fini par avoir raison des troupes soviétiques qui se sont alors retirées après avoir simplement fermé les portes de la base et abandonné leur matériel, incluant des objets personnels comme des casques.

Dans une partie adjacente au complexe, derrière un portail dont les murales aux couleurs fanées représentent des scènes d'opulence, des camions sont garés avec soin dans les garages, comme si le conducteur était arrivé, était sorti du véhicule et était parti pour toujours.

La silhouette d'une mitrailleuse perchée sur un toit se détache sur le ciel bleu, ses balles rouillant dans la bande-chargeur.

Aujourd'hui, l'Armée nationale afghane surveille l'équipement en décrépitude pour éviter qu'il ne tombe entre les mains des nouveaux insurgés.

Interrogé à savoir pourquoi ces tonnes de métal ne sont pas fondues ou utilisées à d'autres fins, un soldat hausse les épaules. «Ce n'est pas ma responsabilité», lance-t-il.

Quant aux enfants qui y jouent le coeur léger et le sourire aux lèvres, ils peuvent se targuer d'avoir l'un des terrains de jeu les plus bizarres de la planète.