Un jeune et brillant étudiant en mathématiques, jusque-là discret et sans histoires, se retrouve tout à coup le héros improbable de l'Iran. Mahmoud Vahidnia a osé l'impensable en république islamique, en critiquant, en sa présence et en s'adressant à lui directement, le Guide suprême de la Révolution, l'ayatollah Ali Khamenei.

Agé d'une petite vingtaine d'années, Mahmoud Vahidnia, qui fut médaille d'or lors des Olympiades nationales de Mathématiques il y a deux ans, a non seulement interpellé Ali Khamenei, mais, peut-être encore plus surprenant, il ne lui est rien arrivé depuis, alors que nombre de dissidents et intellectuels ont été envoyés en prison pour avoir critiqué le Guide. Le recteur de son université a pris sa défense, ses camarades sont descendus manifester en son honneur le fameux soir aux cris de «Allah Akbar!» (Dieu est grand) et de «mort au dictateur!».

L'événement a eu lieu au cours d'une séance de questions-réponses à l'Université technique Sharif de Téhéran le 28 octobre. L'échange a duré 20 minutes, et était si extraordinaire que nombre ont d'abord cru qu'il avait été monté de toutes pièces par le régime des mollahs.

Ce dernier a en tous cas repris la balle au bond, prenant cet incident comme preuve de sa tolérance: le quotidien pro-gouvernemental «Keyhan» a raconté l'échange sous le titre «la réponse paternelle du dirigeant de la révolution à la critique de la jeunesse». Et même le site officiel du Guide suprême a mentionné l'incident.

Pourtant, certains de ceux qui assistaient à l'événement racontent que Khamenei a semblé décontenancé par l'interpellation du jeune homme, et a quitté prématurément la rencontre, selon des commentaires postés sur des sites réformateurs.

La séance avait débuté par un discours classique de Khamenei, le Guide suprême affirmant que le «plus grand des crimes» était de remettre en cause les résultats du scrutin du 12 juin et la réélection à la présidence de l'ultraradical Mahmoud Ahmadinejad.

Après le discours, Vahidnia a levé la main, et passé les 20 minutes suivantes à reprocher au Guide Suprême la répression des manifestations ayant suivi ce scrutin, répression qui a fait au moins 69 morts, selon l'opposition.

«Je ne sais pas pourquoi dans ce pays il n'est pas permis de vous critiquer de quelque manière que ce soit», a lancé notamment à l'adresse du Guide ce jeune homme mince et tranquille, portant des lunettes et un polo bleu à manches longues, selon les extraits diffusés à la télévision publique.

«Ces trois à cinq dernières années où j'ai lu les journaux, je n'ai vu aucune critique de vous, pas même de la part de l'Assemblée des Experts, dont le rôle est de superviser le travail du Guide», a-t-il ajouté, parlant de l'aréopage de mollahs chargés de désigner celui qui est la pierre angulaire du régime.

Et Khamenei lui a alors répondu, selon les compte-rendus qu'en ont fait la presse officielle et les sites d'opposition: «nous accueillons favorablement la critique. Nous n'avons jamais dit de ne pas nous critiquer».

Cette audace du jeune Vahidnia vient confirmer à quel point le tabou entourant autrefois celui qui incarne l'autorité suprême de la théocratie iranienne s'est effrité depuis le mois de juin et le mouvement de contestation: les manifestants ont scandé «mort au dictateur!», parfois même «Khamenei, assassin!». Et plusieurs mollahs hauts placés ont été très ouvertement critiques.

«Vahidnia a fait état d'une nouvelle atmosphère qui est la caractéristique véritable du peuple iranien», écrit sur son site Web l'ancien ministre réformateur Ataollah Mohajerani. «Si à partir de maintenant, lors de rassemblements en présence du Guide suprême, les gens ont le courage de prendre la parole au nom de la justice et du droit, le climat de tyrannie étouffera».

«Vous, qui avez le rôle d'un père, quand vous traitez vos opposants d'une telle manière, vous subordonnés se comporteront en toute logique de manière similaire, comme nous l'avons vu dans les prisons», a lancé le jeune homme à Khamenei, allusion aux viols et tortures infligés aux opposants détenus.

Il a également critiqué la manière dont les médias officiels ont couvert les manifestations, dénonçant une «image caricaturale» des manifestants de l'opposition, dépeints comme des pions à la solde des ennemis étrangers de l'Iran.

«Ne croyez pas que parce que je nomme le chef de la télévision d'Etat, ils m'apportent tous leurs programmes pour que je les valide», lui a répondu Ali Khamenei, ajoutant que les informations sur la situation dans le pays étaient «incomplètes».

Sur les pages d'Alef Web, site d'opposition, Vahidnia a expliqué que les organisateurs avaient dans un premier temps tenté de l'empêcher de prendre la parole, avant qu'apparemment Khamenei lui-même l'autorise à poursuivre. Il a expliqué avoir ensuite était interrompu à plusieurs reprises par le modérateur.

Le jour même, la télévision publique n'a pas évoqué Vahidnia, se contentant de diffuser des extraits du discours de Khamenei. Mais elle a en revanche quelques jours plus tard démenti les rumeurs de son arrestation et diffusé des images de lui lors de cette rencontre.