Près de cinq mois après les législatives, le Liban n'est toujours pas doté d'un nouveau gouvernement, une paralysie du pouvoir exécutif qui fait craindre des répercussions sur la sécurité du pays.

Les déclarations quotidiennes des hommes politiques mais également des analystes sont tantôt rassurantes tantôt alarmistes, les pronostics évoquant les scénarios les plus divers. Les États-Unis ont affirmé mercredi qu'ils espéraient voir dans les «prochains jours» la formation d'un gouvernement. «Nous avons actuellement de grands espoirs de voir l'annonce d'un gouvernement dans les prochains jours», a affirmé mercredi Jeffrey Feltman, secrétaire d'Etat adjoint américain pour le Proche-Orient.

De son côté, la presse libanaise soutient que cette semaine sera «déterminante». Mais jusqu'à présent, aucun signe concret ne laisse croire à un dénouement imminent de la crise.

La majorité parlementaire du premier ministre désigné Saad Hariri et la minorité menée par le mouvement islamiste chiite Hezbollah n'arrivent pas à se mettre d'accord sur la répartition de portefeuilles au sein d'un gouvernement d'union, faisant craindre à certains une crise ouverte.

Le gouvernement sortant de Fouad Siniora, chargé des affaires courantes, ne s'est plus réuni depuis les législatives du 7 juin et ne peut prendre de décisions importantes.

«La crise gouvernementale sur les pas du vide présidentiel», titrait An Nahar, quotidien proche de la majorité, dans son édition de mardi.

L'impasse actuelle rappelle en effet celle qui avait laissé le Liban sans président de la République pendant six mois et débouché sur des affrontements à l'origine d'une centaine de morts en mai 2008 entre partisans des deux camps, avant la signature d'un accord interlibanais à Doha.

Un scénario qui, selon certains analystes, pourrait se répéter.

«Le vide gouvernemental sous-tend des risques au niveau de la sécurité», estime Emile Khoury, analyste au quotidien An Nahar.

«Le Hezbollah et son allié Amal (mouvement chiite) peuvent menacer d'un nouveau +7 mai+ à tout moment», ajoute l'observateur, en référence au coup de force du parti chiite à Beyrouth lors des heurts de mai 2008, en réponse à une décision du gouvernement d'alors d'enquêter sur son réseau de télécommunications.

«La minorité menace d'un vide au pouvoir si elle n'obtient pas ses revendications», ajoute-t-il.

Le Hezbollah et ses alliés accusent la majorité de vouloir s'arroger les décisions importantes dans le pays en s'attribuant les ministères-clés.

Des dirigeants étrangers ont également exprimé leur préoccupation à l'égard du retard dans la formation du gouvernement.

Mardi, l'ambassadrice américaine à Beyrouth, Michele Sison, a souligné «l'importance de la formation le plus tôt possible d'un gouvernement».

«Nous sommes inquiets», avait pour sa part affirmé la semaine dernière le chef de la diplomatie française Bernard Kouchner, en visite à Beyrouth.

«Soyez conscients de l'enjeu, l'enjeu c'est votre sécurité, l'unité du Liban, la liberté du Liban, vous devez vous ressaisir», avait-il martelé.

Dans la rue, les Libanais se font l'écho de ces inquiétudes.

À Chiyah, dans la banlieue sud de Beyrouth bastion du Hezbollah, Sami Sbaiti, mécanicien de 49 ans, craint que des incidents ne se renouvellent en l'absence de gouvernement.

«S'il n'y a pas de gouvernement pendant longtemps, ça sera le chaos. Ca facilite ce genre d'incident», dit-il, en référence à des affrontements entre résidents de son quartier et du quartier chrétien voisin d'Aïn al-Remmaneh, qui ont fait un mort en début du mois.

Mais la majorité exprime surtout son ras-le-bol de l'immobilisme actuel.

«Qu'ils aillent au diable tous, je m'en fiche s'il y a un gouvernement ou pas», affirme Maxime, vendeur de vêtements dans le quartier commerçant de Hamra.

«Sans gouvernement, c'est encore mieux, les affaires vont bien, qu'ils nous laissent tranquilles», lance-t-il.

Dans le quartier chrétien d'Achrafieh, Sara, étudiante en nutrition de 22 ans, exprime aussi sa lassitude.

«Je ne suis plus les infos, ça me dégoûte, dit-elle. Un jour, on n'a pas de président, un autre on est sans gouvernement. Nous sommes devenus la risée du monde entier.»