Après des semaines de protestation et de répression politique, Mahmoud Ahmadinejad a réussi à reprendre les rênes de la présidence iranienne. Il n'est pas tiré d'affaire pour autant. Le choix de son cabinet sème la zizanie parmi les conservateurs iraniens, son propre clan. Ces derniers devront décider demain s'ils accorderont leur confiance aux poulains du président.

Un ministre du Commerce transformé en expert du pétrole. Une infirmière de 43 ans aux commandes des Affaires sociales. Un suspect recherché par Interpol comme nouveau ministre de la Défense. Le patron d'un organisme de charité à la tête des services secrets.

 

Mahmoud Ahmadinejad avait à peine terminé d'annoncer la nomination de 21 nouveaux ministres de son gouvernement, mercredi, que déjà, le Majlis, le Parlement iranien, grondait.

Pour deux raisons: en annonçant le plus tard possible la composition de son gouvernement et en choisissant de le faire à la télévision plutôt que devant les députés, Ahmadinejad a démontré aux élus qu'il se préoccupait peu de leur opinion.

Le curriculum vitae de certains des ministres désignés a eu l'effet d'une gifle: les députés conservateurs, majoritaires au Parlement, avaient demandé au président de nommer des politiciens d'expérience pour gouverner le pays. Ahmadinejad a plutôt choisi des proches, souvent peu qualifiés pour leurs nouvelles fonctions. Les députés n'ont pas tardé à crier au scandale. «Les postes de ministres ne doivent pas être des bancs d'essai», a tonné Ali Larijani, le président du Parlement avec qui M. Ahmadinejad semble avoir de plus en plus de différends idéologiques.

Aujourd'hui et demain, la branche législative iranienne pourra prendre sa revanche. Elle débattra des 21 nominations du président Ahmadinejad et décidera d'ici demain soir si les personnes désignées méritent leur bénédiction.

En cas de désaveu, le président, déjà ébranlé par la contestation monstre qui a entouré sa réélection, devra ravaler sa salive et retourner à la table à dessin. Il a déjà dû le faire une première fois quand les députés conservateurs se sont opposés à la nomination d'un parent, Esfandiar Rahim Mashaie, au poste de vice-président.

La table semble à nouveau mise pour un bras de fer entre les branches législative et exécutive. Cependant, les experts s'entendent pour dire que le combat de coqs a des règles bien définies. «Le Majlis peut tenir tête à Ahmadinejad sur un ou deux de ses choix, mais pas beaucoup plus. Les députés ne veulent pas dépasser la ligne rouge en affaiblissant le gouvernement qui a l'assentiment de l'ayatollah Khamenei», véritable patron du pays, soutient Mahdi Khalaji, expert de l'Iran au Washington Institute.

Se tenant loin des projecteurs, l'ayatollah Khamenei exerce un pouvoir presque sans limites sur l'État iranien. Il a un droit de regard sur la composition du cabinet, mais aussi sur la nomination du chef de la branche judiciaire du pays. À ce poste, il a récemment nommé Sadegh Larijani, frère du président du Parlement. «Les frères Larijani sont là pour servir de garde-fou à Mahmoud Ahmadinejad, qui a utilisé les élections pour asseoir son pouvoir davantage», explique James Devine, membre du Consortium interuniversitaire pour les études arabes et le Moyen-Orient. Il compare aux échecs la relation entre le guide suprême de l'Iran et le président ultraconservateur. Un jeu de pouvoir qui se joue un pion à la fois.

 

Femmes, ministres, mais pas féministes

Le nom de trois femmes figure sur la liste des ministres choisis par Mahmoud Ahmadinejad, une grande première depuis l'avènement de la république islamique. Le journal réformiste Rooz se désole cependant de voir que les heureuses élues sont loin d'être de grandes défenderesses du droit des femmes. Fatemeh Ajorlou, choisie pour diriger le ministère des Affaires sociales, a récemment voté en faveur de la discrimination positive pour les hommes aux examens d'entrée à l'université, réussis pour le moment à 60% par des femmes. Marzieh Vahid Dastjerdi, désignée pour le ministère de la Santé, s'oppose au divorce, au libre choix à l'avortement et aux droits des mères d'obtenir la garde des enfants en cas de séparation. «Les femmes choisies sont plus hommes que des hommes. Ahmadinejad ne les a pas choisies pour leurs compétences, mais pour faire passer un message», estime Houchang Hassan-Yari, professeur de sciences politiques au Collège royal militaire du Canada.