Quand on lui demande depuis combien de jours il n'a pas pu voir son fils, Noam Shalit n'hésite pas une seconde. Le jour de notre rencontre dans un hôtel de Tel Aviv, le décompte en était à 962.

Neuf cent soixante-deux journées s'étaient écoulées depuis le 25 juin 2006, jour où un commando du Hamas a attaqué un poste militaire israélien à la frontière de la bande de Gaza. Deux soldats ont été tués. Un troisième, Gilad, a été kidnappé.

 

À l'époque, le caporal Shalit avait 19 ans. Il en a 22 aujourd'hui. Pour sa famille, ça fait presque trois ans d'attente et d'angoisse.

Et aussi, depuis peu, d'espoir. Car la libération du soldat Shalit est au coeur des négociations sur un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, le mouvement qui contrôle la bande de Gaza.

Les échos qui transpirent de ces pourparlers indiquent qu'un accord est imminent. Le cas échéant, Gilad Shalit pourrait rentrer chez lui, dans son village du nord du pays. En échange, des centaines de détenus palestiniens seraient libérés par Israël.

Noam Shalit n'ose pas trop y croire. Mais en même temps, il se dit que si jamais son fils devait retrouver la liberté, c'est maintenant ou jamais. Car les deux parties ont, selon lui, intérêt à ce que Gilad sorte de son cachot.

D'un côté, il y a le premier ministre israélien sortant, Ehoud Olmert, qui songe à un éventuel retour en politique. «Ce serait un bon point pour lui s'il parvenait à libérer Gilad», pense Noam Shalit.

Côté palestinien, le Hamas doit bien un prix de consolation aux Gazaouis durement éprouvés par les bombardements israéliens. Et le retour des prisonniers palestiniens ferait l'affaire, pense-t-il.

Depuis l'enlèvement, cet homme discret au visage soucieux consacre tout son temps libre à se battre pour la libération de son fils. Il a rencontré le président Nicolas Sarkozy en janvier. La semaine dernière, il a eu un entretien avec l'émissaire spécial pour le Proche-Orient, Tony Blair. Partout, le même message: «Nous sommes devant une fenêtre d'opportunité, ne la ratons pas.»

Turbulences à l'horizon

Cette occasion se présente, côté palestinien, en même temps que des turbulences politiques à l'issue bien incertaine.

C'est que la liste des prisonniers à échanger contre le soldat Shalit pourrait comprendre 40 députés du Hamas détenus en Israël.

En l'absence de ces députés, le Parlement palestinien ne se réunit plus. Chacun gère ses petites affaires. Le Hamas à Gaza. Et le Fatah, mouvement du président Mahmoud Abbas, en Cisjordanie.

Dès le retour des prisonniers, tout ça risque de changer. «Nous allons forcer le Fatah à convoquer le Conseil», avertit Ayman Daragmeh, député proche du Hamas rencontré à Ramallah.

Le Parlement palestinien compte 132 députés, dont 78 membres du Hamas. Majoritaires, ceux-ci veulent voter le départ de Mahmoud Abbas, dont le mandat présidentiel a expiré, selon eux. Ce que le président conteste.

Depuis la guerre fratricide qui a séparé les deux territoires palestiniens, à l'été 2007, les tensions restent vives entre le Hamas et le Fatah. «J'ai été torturé par le Fatah et c'était pire que ce que j'ai vécu dans les prisons israéliennes», confie un jeune militant du Hamas à Ramallah.

Il n'aime pas beaucoup le président de l'Autorité palestinienne. Parce qu'il «arrête des membres du Hamas et qu'il blâme son propre peuple pour la destruction qu'il subit».

Le facteur Barghouti

Mais le président palestinien est aussi de plus en plus critiqué au sein de son propre mouvement. «Ses négociations avec les Israéliens n'ont rien apporté. Il n'a pas fait abolir le moindre poste de contrôle et il n'a pas stoppé l'expansion des implantations juives», dénonce Qadura Farès, haut responsable du Fatah à Ramallah.

M. Farès espère que l'échange de prisonniers profitera au plus célèbre des détenus palestiniens, Marwan Barghouti, redoutable rival pour Mahmoud Abbas. Selon lui, la voie de la négociation est épuisée. Ne reste que la «résistance».

À quelques rues du bureau de Qadura Farès, une villa déglinguée abrite une sorte de sanatorium où des membres du Fatah, blessés lors des affrontements avec le Hamas, requièrent toujours des soins.

Un tel attend sa jambe artificielle, un autre apprend à marcher avec son membre en plastique. Parmi ces estropiés, un ancien policier de Gaza n'a pas assez d'insultes pour dire ce qu'il pense du Hamas.

«C'est la pire engeance que la Terre ait portée!» tonne-t-il.

Hamas contre Fatah. Radicaux du Fatah contre le modéré président Abbas. Sans le savoir, le jeune Gilad Shalit se retrouve au coeur des rivalités politiques palestiniennes.

L'autre jour, une femme s'est approchée de Noam Shalit dans le lobby du Dan Hotel de Tel Aviv. «Comme c'est étrange, hier j'ai rêvé que Gilad a été libéré», lui a-t-elle confié, tout émue.

Mais pour le président palestinien, cette libération présage plutôt un joli cauchemar.

 

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Trêve conditionnelle à la libération

Israël ne conclura aucun accord de trêve avec le Hamas dans la bande de Gaza sans la libération du soldat israélien Gilad Shalit, a affirmé hier le premier ministre Ehoud Olmert dans un communiqué. «Il n'existe aucun lien entre les deux dossiers» de la libération du soldat et de l'ouverture des points de passage de la bande de Gaza, a toutefois réagi auprès de l'AFP le porte-parole de l'administration du Hamas à Gaza, Taher al-Nounou. Plus tôt, le Hamas avait dénoncé «la marche arrière (d'Israël) concernant la trêve. Ils (les Israéliens) ont demandé une trêve sans limite de temps et non d'un an et demi comme convenu», a affirmé dans un communiqué un porte-parole du Hamas, Fawzi Barhoum. (Agence France-Presse)