Jalal al-Qaadi n'avait aucune idée du jeu auquel il allait être contraint de jouer pour livrer des légumes frais à Gaza au volant de son semi-remorque : la roulette russe.

En dépit des combats et bombardements, ce chauffeur palestinien était plutôt confiant: ses employeurs de l'ONG Care International l'avaient assuré que tout était coordonné avec l'armée israélienne.

Après avoir bourré son camion de 20 tonnes de fruits et légumes frais, Jalal al-Qaadi, 35 ans, a quitté la ville de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, et pris la route vers le nord.

Mais c'est en arrivant à Netzarim sur le site de l'ancienne colonie, au sud de la ville de Gaza, que les soldats israéliens contrôlent à nouveau, qu'il a réalisé qu'il avait un problème.

Tous ses papiers étaient en règle mais l'armée ne l'a pas laissé passer. Alors, il a attendu. Longtemps.

«Il y avait beaucoup de chars et de soldats qui se cachaient dans une maison voisine. Ils ont commencé à tirer près de la voiture qui se trouvait devant moi, dont les fenêtres ont été brisées», raconte à l'AFP le chauffeur, joint par téléphone.

La nuit commençait à tomber. «J'étais terrifié mais Dieu me protégeait», poursuit-il.

Jalal al-Qaadi a alors fait demi-tour, puis a croisé un convoi de l'ONU qui se dirigeait vers la ville de Gaza. Il s'est finalement joint à lui et a pu arriver à destination.

Livrer de l'aide humanitaire depuis le début de l'offensive israélienne contre le Hamas dans la bande de Gaza, le 27 décembre --qui a fait plus de 1.000 morts palestiniens-- relève de la gageure pour les ONG.

Même si elles tentent de coordonner leurs mouvements avec l'armée israélienne, elles expliquent que leurs camions ont les plus grandes difficultés à se déplacer et sont souvent bloqués de longues heures dans des zones à risque.

«Nous devons rassurer les chauffeurs tout le temps» au téléphone, explique Firas Boudeiri, chef des opérations de Care dans les territoires palestiniens. «Ils n'ont aucune protection. Leurs camions ne sont pas blindés et ils n'ont ni gilets pare-balles, ni casques», ajoute-t-il.

La semaine dernière, Bassem Kouta, 32 ans, chauffeur de la compagnie de camions Chouhaiber, qui travaille pour l'agence de l'ONU pour l'aide aux réfugiés palestiniens (Unrwa), a été tué près de point de passage d'Erez, dans le nord de la bande de Gaza.

Selon l'Unrwa, le chauffeur a été tué par l'armée israélienne, ce que cette dernière a catégoriquement démenti, des sources militaires accusant des combattants du Hamas d'être à l'origine des tirs.

Depuis le 27 décembre, trois chauffeurs de la compagnie Chouhaiber ont été tués, dont deux par un missile israélien qui a touché le parking où les camions étaient stationnés, selon la société.

Du côté israélien du point de passage de Kerem Shalom, principal site de transit de marchandises pour la bande de Gaza, des camions patientent, prêts à décharger l'aide en provenance du monde entier.

A l'intérieur du terminal, des dizaines de palettes sont empilées: de l'huile de soja, du sucre, des lingettes antiseptiques... chacune marquée du drapeau du pays donateur.

Avant l'offensive, «il y avait entre 100 et 120 camions palestiniens qui venaient tous les jours, mais aujourd'hui, nous n'en avons que 35», indique Ami Shaked, le responsable israélien en charge du terminal.

«Les Palestiniens ont peur de venir», dit-il, expliquant qu'en raison des combats, il est risqué d'aller chercher les camions à différents endroits de la bande de Gaza pour les acheminer jusqu'au terminal.

A l'Unrwa, on assure néanmoins qu'on ne manque pas de chauffeurs, en dépit des risques.

«Les gens sont encore prêts (à conduire des camions) parce qu'ils réalisent l'importance cruciale d'apporter de la nourriture et de l'aide médicale», explique Aidan O'Leary, directeur-adjoint des opérations de l'Unwra.

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