Après s'être terrés chez eux pendant 10 jours, les habitants de Gaza ont eu droit à un répit pendant la brève trêve d'hier. Plusieurs en ont profité pour se ruer vers des magasins, à la recherche de pain ou de lait. Ou simplement pour rencontrer des proches après ces 10 jours de réclusion.

Puis ils sont rentrés chez eux en courant, sous le bruit de nouvelles bombes.

«Pour la première fois depuis plusieurs jours, j'ai marché dans les rues aujourd'hui. J'ai vu des gens faire la queue par milliers devant une boulangerie. Certains m'ont dit qu'ils attendaient là depuis 12 heures. C'est du jamais vu à Gaza», raconte Jason Shawa, un imprimeur de 40 ans joint par téléphone hier.

Heba Sarraj, elle, s'est précipitée à la recherche de bougies. Cette enseignante fraîchement mariée fait partie des malchanceux qui ne possèdent pas de génératrice. Or, le réseau électrique de la bande de Gaza ne fonctionne pratiquement plus. Heba ne peut ni chauffer sa maison, ni faire fonctionner son réfrigérateur. « Nous avons cuisiné tout ce que nous avions et maintenant, une partie de la nourriture pourrit », déplore-t-elle.

Comme la plupart de leurs voisins, Heba et Jason ne peuvent pas non plus chauffer leur appartement. De crainte que les bombes ne fassent exploser les vitres, la plupart des Gazaouis vivent les fenêtres grandes ouvertes, pour se protéger contre les éventuels éclats. Et ils ont froid.

Mais même ceux qui ont une génératrice doivent rationner l'électricité, car il n'y a pratiquement plus de carburant à Gaza.

«Quand je regarde par la fenêtre de mon neuvième étage, je vois une ville noire, avec ici et là quelques flammes de bougies», relate Jason Shawa. Il raconte aussi avoir vu des familles marcher dans les rues en traînant des matelas.

Dans cette société où les réseaux d'entraide familiale permettent à tous d'avoir un endroit où coucher, des milliers de personnes, chassées par les bombes, dorment dans la rue.

La peur

Mais au-delà du froid, de la faim, des boucheries fermées et des pompes à essence vides, Gaza souffre d'abord et surtout de la peur. «Je ne sors pas de chez moi, c'est trop dangereux», dit Heba. «Les bombes tombent n'importe où, n'importe quand, il n'y a aucun endroit où se cacher», confirme Jason.

Comme d'autres Gazaouis, il avait stocké de la farine et de l'huile, se préparant pour une éventuelle offensive israélienne. Mais ce qui s'est passé depuis le 27 décembre a dépassé tout ce qu'il avait pu imaginer.

«Je vis à Gaza depuis 1971 et je n'ai jamais rien vu de pareil. Pendant les autres offensives, Israël bombardait quelques édifices publics, les bâtiments de la police ou du gouvernement, et ça finissait là. Maintenant, les bombes tombent partout.»

Les gens sont d'autant plus terrifiés qu'ils appréhendent l'entrée des tanks israéliens à l'intérieur même de la ville de Gaza. «On ne sait pas à quoi nous attendre. Si c'est le cas, la résistance sera féroce», s'inquiète-t-il.

Jason Shawa ne comprend pas la rationalité de cette offensive. Il se demande pourquoi un petit hôtel à 50 mètres de chez lui a été visé par les bombes. Il se demande aussi pourquoi les bombes se sont abattues pour la troisième fois sur les bureaux du président Mahmoud Abbas, déjà préalablement réduits en ruine.

Jason Shawa n'est pas un partisan du Hamas. Et il ne soutient pas les tirs de roquettes sur Israël. «Mais cela ne justifie pas que l'on tue plus de 700 personnes en quelques jours! C'est inacceptable, sans précédent!» tonne-t-il.

Heba Sarraj, elle, blâme autant Israël que le Hamas pour la terrible tragédie qui s'abat sur son peuple. Une de ses belles-soeurs a dû quitter sa maison sous les bombes. La maison d'une de ses cousines a aussi été touchée.

«Pour moi, les deux parties sont à blâmer. Vous ne pouvez pas imaginer ce qui se passe ici. Nous avons peur et nous ne savons pas ce qui nous attend. Moi, je commence à peine ma vie? Comment vais-je élever mes enfants?» se demande-t-elle, la voix étranglée par l'émotion.

«Au bout du compte, notre problème, c'est l'occupation israélienne. Oui, Israël s'est retiré de Gaza, mais il contrôle toujours tous les aspects de notre vie», dénonce de son côté Jason Shawa. Et il ne voit pas de fin à la violence tant que ce problème ne trouvera pas de solution politique.

Hier, Jason s'est échappé de chez lui pour rencontrer quelques copains dans un hôtel du centre-ville. Quand La Presse l'a joint, il s'attardait encore dans cet hôtel. Mais le cessez-le-feu venait de s'éteindre et on entendait çà et là quelques explosions. «Ce sont des tirs qui viennent de la mer, a estimé Jason. Je crois que je vais rentrer chez moi.»