Le bombardement d'une école de l'ONU à Gaza a soulevé l'indignation dans le monde. L'armée israélienne affirme qu'elle n'a fait que riposter à des tirs de mortier qui venaient de l'école. Alors que l'horreur continue, les médiateurs internationaux sont toujours incapables d'arrêter les combats. Notre journaliste Agnès Gruda, qui s'est rendue plusieurs fois à Gaza depuis 15 ans, nous explique l'origine de ce cul-de-sac meurtrier. Notre chroniqueur Patrick Lagacé s'est, lui, rendu en Cisjordanie pour comprendre comment la population de Ramallah réagit aux souffrances de ses frères palestiniens.

La première fois, c'était il y a 14 ans. Youssef m'attendait à Erez, le point d'entrée de la bande de Gaza, au milieu d'un brouhaha de vendeurs de dattes, d'amandes et de bananes. C'était l'époque des accords d'Oslo et Yasser Arafat venait de rentrer d'exil pour diriger de Gaza le tout premier gouvernement palestinien.

 

Israéliens et Palestiniens étaient alors engagés dans un dialogue qui faisait miroiter la perspective d'une réconciliation. Du moins, c'est ce que je croyais. Mais une journée passée à sillonner l'enclave palestinienne à bord de la Peugeot bringuebalante de Youssef avait suffi pour me faire comprendre que l'espoir s'arrêtait aux portes de Gaza.

Entre les flaques d'égout à ciel ouvert et les camps de réfugiés avec leurs maisons en tôle, un million de Gazaouis attendaient toujours, en vain, que leurs conditions de vie s'améliorent. Mais huit mois après son retour triomphal, Yasser Arafat s'était retranché dans le quartier général qu'il avait aménagé dans l'ancienne bâtisse de l'administration israélienne. Il embauchait des policiers par milliers. «Pourquoi n'embauche-t-il donc pas d'enseignants pour les écoles, de médecins pour les hôpitaux?» se demandait-on dans les ruelles de terre battue.

L'armée israélienne, elle, s'était retirée de la bande de Gaza, mais pour mieux la boucler de l'extérieur, cloîtrant des dizaines de milliers de travailleurs dans un territoire où, à moins de se faire enrôler dans la police d'Arafat, les occasions de trouver un gagne-pain étaient rarissimes. «J'ai voyagé, je suis déjà allé à New York, maintenant, je suis en prison», avait soupiré Youssef lorsque nous nous étions attablés à une terrasse de bord de mer.

«Gaza est une marmite bouillonnante dont les valves de sécurité sont contrôlées par Israël», m'avait dit la politicienne palestinienne Hanan Ashrawi. J'avais eu un avant-goût de ce qui bouillonnait dans cette marmite à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, où des militants du Hamas commémoraient avec des salves la mort d'un «martyr». Il venait de se faire exploser dans un attentat raté à Jérusalem.

Déçue par Arafat, étranglée par Israël, la bande de Gaza allait pencher de plus en plus en faveur du Hamas qui, lui, se préoccupait concrètement de son sort, en construisant écoles et hôpitaux... tout en multipliant ses attaques contre Israël, pays dont il souhaite la disparition.

Engrenage

Quand je suis retournée à Gaza, au printemps 2002, la deuxième Intifada battait son plein avec son sordide engrenage: plus d'attaques suicide, plus de représailles, plus de candidats au terrorisme... Il n'y avait plus de vendeurs de bananes à Erez. Seulement des grilles, des barbelés et des voix anonymes qui grésillaient dans des haut-parleurs.

Mais cette fois, il y avait aussi des barrières à l'intérieur même de la bande de Gaza. Car à l'époque d'Oslo, quand Palestiniens et Israéliens discutaient de leur avenir, des colons juifs étendaient leurs implantations dans Gaza. Enclavés dans une enclave, ils constituaient une cible facile pour les militants. Et Israël avait choisi de les protéger avec un imposant attirail militaire.

Sur le terrain, les Gazaouis ont alors eu droit à une couche de frustration supplémentaire. Quand les points de contrôle fermaient, des étudiants ne pouvaient plus aller à l'université, des infirmières et des médecins ne pouvaient plus rejoindre les hôpitaux. Et sur ces nouvelles privations est née une nouvelle couche de colère.

Israël a fini par évacuer les colons en août 2005, retirant aussi son armée, unilatéralement et sans négociation. Cette stratégie du divorce à sens unique a laissé Gaza à elle-même, aux prises avec ses démons et des bouclages de plus en plus dévastateurs.

En janvier 2006, le Hamas a remporté les législatives palestiniennes. On connaît la suite: un boycottage international qui a plongé Gaza dans de nouvelles souffrances. Mais qui n'a pas empêché le Hamas de s'armer jusqu'aux dents...

Je suis retournée à Gaza à deux reprises cette année-là, pour trouver une administration paralysée par le boycottage, incapable de payer ses employés. Et une population soumise au contrôle de milices rivales: celles du Hamas, et celles du Fatah du président Mahmoud Abbas.

Entre les milices armées et les ministères déserts, de nombreux Gazaouis étaient maintenant réduits à fouiller dans les décombres des colonies abandonnées, à la recherche du moindre objet de valeur, y compris de simples bouts de ferraille rouillée, dans l'espoir de le revendre pour survivre.

Le conflit civil qui a suivi a bouté le Fatah hors de Gaza. Ceux parmi les Gazaouis qui ont alors pu fuir ont plié bagage. Ils pressentaient ce qui allait fatalement arriver: le bain de sang.

Ce dénouement aurait-il pu être évité? Peut-être. Comment? Je l'ignore. Mais ce que je constate, en repassant le film de ces 14 dernières années, c'est qu'à eux seuls, les représailles militaires et le refus du dialogue n'ont fait que renforcer les voix radicales à Gaza. Et qu'à moins de pulvériser cette terre de misère et ses 1,5 million d'habitants, il y a peu de chances que les choses se passent autrement cette fois-ci.