Oum Mina regardait la télévision quand un journaliste irakien a jeté ses chaussures sur George W. Bush. «Ce journaliste n'est pas un héros», selon cette Irakienne, qui affirme : «Bush est notre ennemi. Mais quand tu invites ton ennemi chez toi, tu ne le traites pas de la sorte».

«Ce n'est pas convenable. Cela peut détruire l'image des Irakiens», ajoute cette jeune femme, qui fait son shopping dans un magasin de vêtements de Karrada, un quartier commerçant de Bagdad.

«Le journaliste a manqué de respect au président Bush et à notre Premier ministre Nouri al-Maliki», estime cette femme voilée.

Dans un magasin voisin, la première réaction de Hamza Mahdi est plutôt de sourire. «C'était plutôt marrant», selon cet Irakien de 30 ans, vendeur de vêtements pour femmes.

«Honnêtement, quelque chose de nouveau s'est produit au Proche-Orient», dit-il en redevenant sérieux. «D'habitude, on voit ce genre de choses en Europe, mais chez nous, c'est nouveau», assure-t-il avant de condamner le geste du journaliste de la chaîne al-Bagdadia.

«Je n'aime pas Bush, mais je ne suis pas d'accord avec ce geste, ce n'est pas civilisé. Les journalistes ont le papier et le stylo pour se battre, pas leurs chaussures», dit-t-il.

Son voisin, Haïdar, qui vend des chaussures, estime que le journaliste - hier inconnu mais qu'il appelle déjà par son prénom «Mountazer» - doit «être puni, condamné».

Une femme entre dans le magasin, entend la conversation et dit tout de go: «moi, je le soutiens, tout le monde devrait le soutenir !».

Un débat s'engage. «On ne peut pas faire ça, c'est contraire à nos traditions», rétorque Haïdar. «Vous vous souvenez de ce que les Américains nous ont fait? Avez-vous déjà oublié?», interroge cette femme de 45 ans, Oum Seïf, une universitaire.

«Selon nos traditions, c'est interdit, c'est vrai. Mais il devait avoir une telle douleur. Cela a dû le libérer», estime-t-elle.

«J'étais tellement heureuse ! Mon fils a même voulu tirer quelques rafales (de kalachnikov) en l'air», ajoute-t-elle. «Bien sûr, ce n'est pas suffisant comme vengeance. On a perdu trop de docteurs, de professeurs, toutes ces violences...», poursuit-elle.

Dans la rue, Lava, une belle Kurde de 23 ans, condamne également le geste du journaliste irakien.

«Nous le (Bush) haïssons, d'accord, nous avons le droit. Mais il faut le respecter, il y a d'autres manières d'exprimer son désaccord», dit-elle.

Depuis dimanche soir, toutes les chaînes de télévision des pays arabes ou irakiennes, à l'exception des chaînes gouvernementales, passent en boucle les images de la conférence de presse et de George W. Bush esquivant les chaussures.

L'information a vite fait le tour de Bagdad, par la télévision, le bouche à oreille, ou par SMS.

«Les journalistes sont censés être des gens bien et cultivés», selon Youssef Mohammed, un vendeur de chaussures de Karrada, qui ajoute sur le ton de la plaisanterie: «c'était des chaussures de mauvaise qualité, c'est pour ça qu'il les a sacrifiées».

Oum Moustafa, une Irakienne de 42 ans chargée de lourds sacs de mandarines, dit avoir «pleuré» quand elle a vu l'incident.

«Bush reste un être humain, j'ai eu mal pour lui», assure-t-elle.

Dans le bastion des miliciens extrémistes chiites de Moqtada Sadr, à Sadr City, comme à Najaf, dans le sud de l'Irak, d'autres Irakiens n'ont pas eu la même sensibilité qu'Oum Moustafa et ont manifesté contre la visite de George W. Bush en lançant «Bush, espèce de vache, félicitations pour la chaussure!» ou «Bush, écoute bien, on t'a frappé avec deux chaussures».

Et à Amman, un ancien avocat de Saddam Hussein a annoncé qu'il préparait la défense du journaliste et affirmé qu'au moins 200 confrères proposaient leurs services gratuitement.