L'heure est grave et la discussion animée entre Haji Mulla et 10 de ses hommes, des talibans afghans convaincus, qui ont déposé leurs armes contre le mur de la pièce: un «prisonnier» s'est échappé et reste introuvable en dépit de plusieurs journées de recherches.

Partageant une soupe de mouton en guise de dîner, le groupe passe en revue les événements: comment leur otage a-t-il pu s'enfuir pourquoi n'était-il pas attaché ? Haji Mulla (un nom de guerre) conclut la discussion: «Bloquez toutes les issues de la région dès la première heure».

Cet ancien commerçant de fruits secs qui a quitté l'école après le primaire, aujourd'hui âgé de 38 ans, revendique le commandement de quelques 250 insurgés.

«Cela fait trois ans que j'ai rejoint les talibans pour mener le Jihad (guerre sainte) contre les envahisseurs américains», explique-t-il à la lueur hésitante d'une lampe, dans la province de Wardak, juste à l'ouest de Kaboul.

Haji Mulla n'avait pourtant aucun lien particulier avec le régime des talibans, au pouvoir de 1996 à la fin 2001, date à laquelle ils sont renversés par une coalition dirigée par les Etats-Unis.

«J'ai vu nos maisons fouillées en dépit des préceptes de la Charia (loi islamique), nos gens être envoyés à Guantanamo et maltraités, des civils qualifiés de terroristes assassinés», énumère-t-il pour expliquer son ralliement à l'insurrection.

Pour lui, les forces internationales ne sont en Afghanistan que pour s'emparer de ses ressources et combattre l'Islam. Même quand ils construisent des routes, c'est pour protéger leurs propres intérêts, estime-t-il.

Ce père de sept enfants qui dort rarement chez lui par crainte d'un bombardement, pense qu'il agit dans le meilleur intérêt de se communauté.

Dans cette région de collines parsemées de rares champs, où la police elle-même quitte rarement la sécurité de ses bâtiments, «nous sommes libérés des Américains, des voleurs et des criminels, grâce aux talibans», juge-t-il.

«Les zones contrôlées par les talibans sont sûres jour et nuit», dit-il avec fierté.

Pour autant, Haji Mulla ne fait pas partie de ces militants extrémistes opposés à la construction d'écoles et de cliniques, qui bénéficient à la population locale, reconnaît-il.

Mais cela n'empêche pas ses hommes d'arrêter régulièrement les convois logistiques qui traversent la région, chargés de matériels destinés aux bases militaires des quelques 70 000 soldats étrangers déployés dans le pays.

«Nous confisquons les biens qu'ils transportent pour notre cause puis nous brûlons les camions. Les conducteurs sont relâchés, à condition qu'ils promettent de ne plus recommencer», détaille-t-il.

Pour lui, il ne s'agit pas de vol, mais de prise de guerre pour les moujahidine. D'ailleurs Haji Mulla se déplace à bord d'un véhicule tout-terrain «confisqué» à l'un de ces convois.

Quand aux armes de son groupe, des fusils d'assaut Kalachnikov, des mitrailleuses et quelques lance-roquettes, il s'agit de butin ramassé sur le champ de bataille après des affrontements avec les forces de sécurité afghanes, assure-t-il.

Mais une importante source de revenu vient des «prisonniers», des habitants pris en otage par les talibans et considérés comme des ennemis en raison de leur association avec le gouvernement ou les soldats internationaux.

Certains sont tués, d'autres libérés contre une rançon. D'ailleurs, le lendemain matin, Haji Mulla rencontre des membres de la famille d'un homme enlevé cinq jours plus tôt en possession de documents qui se sont révélés être une réponse à un appel d'offre pour l'équipe de reconstruction provinciale de l'armée polonaise.

Après de longs échanges, les deux parties conviennent que l'otage ne renouvellera pas sa «faute». Mais ce qui précipite sa libération, c'est la remise en main propre de 720.000 roupies du Pakistan voisin (l'équivalent de 9000 dollars US).