Les Iraniens ont manifestement conclu que toutes les menaces d'attaque de la part des Américains et des Israéliens n'étaient que du bluff. Israël ne serait pas capable de détruire la totalité des installations nucléaires de l'Iran sans larguer un grand nombre d'engins nucléaires sur l'Iran. Quant aux États-Unis, ils pourraient y parvenir en se servant uniquement d'armes conventionnelles, mais ils risqueraient alors de voir l'Iran répondre en fermant l'accès du Golfe aux pétroliers, ce qui déclencherait une crise économique mondiale. Les États-Unis et Israël bluffent donc forcément... À moins qu'ils soient fous.

C'est ce qui explique la bravade de Téhéran et son petit spectacle de propagande le 9 juillet, lorsque l'Iran a effectué des lancements-tests de missiles balistiques. L'un d'entre eux peut notamment transporter une arme nucléaire et a une portée suffisante pour frapper Israël. Washington et Jérusalem ont naturellement réitéré leurs habituelles menaces voilées d'une attaque contre l'Iran, mais les Iraniens n'y croient plus.

Renforcer la ligne dure

Le missile Shahab-3 que les Iraniens ont testé a déjà volé auparavant. S'il a effectivement une portée suffisante pour atteindre Israël, il lui manque néanmoins un système de guidage efficace. De plus, il ne serait probablement pas capable de pénétrer le système de défense antimissile balistique d'Israël. Mais au-delà de ce constat, comme l'affirmait le NIE (National Intelligence Estimate — document d'analyse des 16 agences américaines de renseignement) de décembre dernier —, l'Iran ne possède pas d'armes nucléaires et a interrompu son programme d'armement nucléaire en 2003.

Ces essais visaient en premier lieu à renforcer la position de la ligne dure de la politique intérieure en Iran. Les Gardiens de la révolution iraniens (le corps d'armée qui a procédé à ces essais) cherchent à entretenir la menace d'une confrontation avec les États-Unis et ses alliés, parce qu'ils craignent que d'autres éléments du régime ne cèdent sur le droit de l'Iran d'enrichir du combustible nucléaire à usage civil.

Si effectivement ni les États-Unis ni Israël n'ont l'intention d'attaquer l'Iran, cette stratégie ne coûte rien aux Gardiens de la révolution iraniens : non seulement ils remportent le combat politique sur le plan intérieur, mais ils ne perdent rien sur le plan international. En revanche, s'ils ont fait un mauvais calcul, c'est une guerre qui les attend. Alors quelles sont les chances que les Iraniens aient fait un mauvais calcul ?

Impossible consensus

De nombreux bureaux d'études tentent d'analyser cette question. Certains facturent même des sommes considérables pour y répondre. Au fond, pourtant, tous ne font que deviner ce qui se passe dans la tête du président des États-Unis et/ou du premier ministre israélien, qui sont tous deux des hommes pressés. George W. Bush quittera son poste en janvier, tandis qu'Ehoud Olmert pourrait être parti d'ici septembre, en raison d'un scandale de corruption.

Le président américain semble s'être convaincu qu'il faut intervenir contre la «menace iranienne » avant son départ. Il est néanmoins confronté à l'opposition quasi-unanime de l'armée et du renseignement des États-Unis, lesquels sont horrifiés par la perspective d'une guerre impossible à gagner contre l'Iran. Le NIE de décembre dernier était une tentative délibérée de couper court à la propagande incessante de l'administration Bush au sujet de la «menace nucléaire iranienne».

En Israël, le gouvernement de coalition du premier ministre Ehoud Olmert risquerait de se désagréger s'il décidait d'attaquer l'Iran seul. Les militaires israéliens sont clairement divisés sur la viabilité d'une attaque. Par ailleurs, Israël ne pourrait pas agir sans le feu vert de Washington, car les avions israéliens traverseraient nécessairement l'espace aérien irakien, lequel est sous contrôle américain. Tout repose donc sur la décision de George W. Bush.

Les conclusions de l'«Institut»

Lui-même ne sait probablement pas encore quelle décision il prendra. Il doit principalement redouter que les haut gradés de l'armée et les espions de Washington expriment publiquement leur opposition à une telle entreprise. Dans ce genre de circonstances, je consulte généralement l'«Institut international des débats d'actualité pendant le dîner», qui livre ses informations pour le prix d'un bon repas.

Les seuls membres de cet institut sont mon épouse, mes nombreux et talentueux enfants et moi-même. Nous sommes tous experts dans tous les domaines. L'une de nos techniques d'analyse les plus efficaces consiste à fixer des cotes. Il se trouve qu'un quorum des membres de cet institut est actuellement en vacances dans le sud du Maroc. Si bien que nous avons pu nous livrer à cet exercice hier soir au dîner.

J'ai proposé à mes confrères de l'institut un pari à 2 contre 1 que ni les États-Unis ni Israël n'attaqueraient l'Iran cette année. Ils m'ont ri au nez. Ils ont réagi de la même manière pour une cote de 4 contre 1. À 6 contre 1, ils ont commencé à montrer un vague intérêt, mais ont tout de même décliné l'offre. J'en ai donc déduit que, malgré toutes les menaces que s'emploient à proférer Washington et Jérusalem, une attaque contre l'Iran cette année était extrêmement improbable. Les Gardiens de la révolution ont raison.

Vous pourriez objecter que cette technique manque de rigueur scientifique, auquel cas je vous répondrais que celles des autres aussi. Et l'avantage de celle-ci, c'est qu'on profite d'un bon repas en prime. Il faut également préciser que nous avons obtenus de bons résultats jusqu'ici, notamment parce que nous partons du principe que si les dirigeants, à titre individuel, peuvent perdre les pédales, les grandes institutions telles que les gouvernements ou les forces armées sont généralement plus rationnelles dans leurs choix.

À certaines occasions, quand un pays entier a subi un traumatisme dû à un choc profond, des décisions vraiment bizarres deviennent possibles. C'est ce qui s'est passé aux États-Unis après le 11 septembre pendant un certain temps. Mais nous ne sommes plus dans cette situation aujourd'hui. L'armée américaine joue à imaginer des stratégies d'attaque contre l'Iran depuis les années 1990, et jamais il n'en est ressorti un scénario où les États-Unis seraient susceptibles de gagner.

À la Maison-Blanche, certaines personnes sont convaincues que le peuple iranien se lèvera et renversera son gouvernement dès que les premières bombes américaines tomberont, mais les militaires de carrière du Pentagone ne croient pas aux contes de fées. À 6 contre 1, je vous parie que ni les États-Unis ni Israël n'attaqueront l'Iran cette année.