Volodymyr Zelensky a salué vendredi soir l’« héroïsme » de ses troupes engagées dans de « durs combats », au moment où elles auraient selon Moscou lancé leur offensive vers l’est. Or, s’il y a bel et bien des traces d’une contre-offensive, celle-ci n’en est pour l’heure qu’à ses balbutiements, estiment des experts.

Ce qu’il faut savoir

  • « La contre-offensive ukrainienne a commencé », estiment de nombreux observateurs, mais Kyiv reste silencieux sur ses opérations ;
  • « Les troupes ukrainiennes n’ont atteint leur objectif sur aucun des champs de bataille », a déclaré le président russe, Vladimir Poutine.
  • Du côté russe de la frontière, trois personnes ont été légèrement blessées vendredi lorsqu’un drone est tombé sur un immeuble à Voronej ;
  • Les inondations provoquées par la destruction, mardi, du barrage Kakhovka ont fait au moins 13 morts ;
  • « Pour des centaines de milliers de personnes dans de nombreuses villes et villages, l’accès à l’eau potable est fortement entravé », s’est inquiété le président ukrainien Volodymyr Zelensky.

« À nos soldats, à tous ceux qui sont engagés dans des combats particulièrement durs ces jours-ci, nous sommes témoins de votre héroïsme et nous sommes reconnaissants pour chaque minute de votre vie », a lancé M. Zelensky dans son allocution vidéo vespérale.

Le président ukrainien, se conformant à l’attitude adoptée depuis des semaines par les responsables de Kyiv, n’a pas évoqué de contre-offensive ni même d’opération militaire spécifique.

« Nous concentrons notre attention sur tous les endroits où nos actions sont requises et où l’ennemi peut être battu », a-t-il dit.

L’armée russe a quant à elle affirmé avoir repoussé ces derniers jours plusieurs vagues d’attaques ukrainiennes comprenant des blindés. Le Kremlin a affirmé qu’il s’agissait de la contre-offensive de l’Ukraine, si souvent évoquée, et qu’elle avait été mise en échec.

« Nous pouvons affirmer que cette offensive a commencé », a déclaré le président Vladimir Poutine dans une vidéo diffusée sur Telegram. Selon lui, les troupes ukrainiennes à ce stade « n’ont atteint leur objectif sur aucun des champs de bataille », mais disposent encore d’un vaste « potentiel offensif ».

« Il faut prendre cette déclaration comme toute déclaration de propagande », affirme toutefois Dominique Arel, titulaire de la Chaire d’études ukrainiennes de l’Université d’Ottawa. Il serait faux de dire que la contre-offensive des troupes ukrainiennes est un échec, croit-il.

PHOTO FOURNIE PAR LE SERVICE DE PRESSE DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE RUSSE, ASSOCIATED PRESS

Char ukrainien en flammes, vendredi

Maria Popova, professeure au département de science politique de l’Université McGill, abonde elle aussi dans ce sens. « Il est beaucoup trop tôt pour juger d’un quelconque succès », affirme la spécialiste de l’espace postsoviétique.

Objectif : Crimée

« Nous n’avons pas besoin de Poutine pour dire que la contre-offensive a débuté, les Ukrainiens eux-mêmes l’ont laissé entendre », dit Maria Popova.

M. Arel estime quant à lui qu’on assiste davantage à un « début de contre-offensive » qu’à une « contre-offensive tous azimuts », qui est dans les cartons depuis quelque temps déjà.

L’offensive des forces ukrainiennes pourrait avoir comme objectif d’identifier les points les plus fragiles du front, là où il serait avantageux d’attaquer.

« Kyiv s’essaie sous plusieurs angles pour trouver le meilleur », croit Mme Popova.

Elle est toutefois d’avis qu’il faudra encore plusieurs jours, voire plusieurs semaines, avant que la stratégie ukrainienne se clarifie. « On sait qu’une contre-offensive se prépare, mais on ne sait pas au juste où elle sera concentrée », dit-elle.

Elle estime néanmoins que l’objectif le plus probable serait de « couper le passage terrestre » reliant la Russie à la Crimée. « Ça rendrait beaucoup plus difficile pour Moscou de maintenir le contrôle de la péninsule [criméenne]. »

M. Arel pose un constat semblable. « Ce qui semble être l’intérêt stratégique numéro un, dit-il, c’est de faire une percée sur le front sud pour tenter d’isoler la Crimée. »

Tout en cherchant à couper la Crimée du territoire russe, l’armée ukrainienne pourrait se tourner vers l’est dans l’espoir de reprendre les territoires perdus. « On voit qu’il y a du mouvement dans l’Est et dans le Sud. Ce n’est pas concentré à un seul endroit », observe-t-il.

Ralentis par les inondations

L’institut de sismologie norvégien NORSAR a indiqué vendredi avoir détecté une puissante « explosion » à l’emplacement du barrage de Kakhovka, détruit mardi, au moment où il a cédé, inondant le bassin du fleuve Dniepr. Cette observation renforce l’idée selon laquelle le barrage hydroélectrique n’a pas cédé du fait de dommages subis lors de bombardements passés, comme l’affirme la Russie.

PHOTO GENYA SAVILOV, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des secouristes ukrainiens durant l’évacuation des résidants du village inondé d’Afanasiivka, vendredi en Ukraine

L’Ukraine accuse Moscou d’avoir miné la salle des machines du barrage et de l’avoir volontairement dynamitée, rendant impraticable pour les blindés ukrainiens un bassin de quelque 600 km⁠2.

M. Arel voit dans la destruction de ce barrage l’évidence d’une stratégie plus large du côté des forces russes. « La Russie est en train de faire sauter systématiquement des petits barrages dans la province de Zaporijjia, dans le Sud, pour inonder les terres et freiner l’armée ukrainienne », dit-il.

« L’hypothèse voulant que ce soit une coïncidence et que [le barrage] ait cédé 24 heures à peine après les premières percées ukrainiennes est hautement improbable, ajoute-t-il. Il n’y a pas de coïncidences. »

Avec l’Agence France-Presse