(Kherson) L’Ukraine et les forces d’occupation russes continuaient mercredi l’évacuation des civils des zones inondées après la destruction la veille dans une zone sous contrôle russe du barrage de Kakhovka (sud) sur le fleuve Dniepr, qui fait craindre une catastrophe humanitaire et écologique.

CE QU’IL FAUT SAVOIR

  • Le président turc Recep Tayyip Erdogan a suggéré mercredi la création d’une commission d’enquête internationale après la destruction du barrage de Kakhovka ;
  • Situé à 150 km de la centrale nucléaire de Zaporijjia, le barrage a été construit dans les années 1950 sur le fleuve Dniepr ;
  • L’Ukraine et la Russie s’accusent mutuellement de l’avoir détruit ;
  • La Maison-Blanche affirme « ne pas avoir de conclusion définitive sur ce qui s’est passé » ;
  • Des dizaines de localités ont été inondées selon les autorités ukrainiennes et 80 au total sont menacées par la montée des eaux ;
  • L’ONU a déjà mis en garde contre de possibles conséquences « graves » pour de centaines de milliers de civils et l’écosystème de la région ;
  • La Russie a accusé l’Ukraine d’avoir fait exploser le pipeline d’ammoniac Togliatti-Odessa, le plus long du monde ;
  • Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, présidera jeudi une réunion du Comité OTAN-Ukraine, à laquelle participera le ministre des Affaires étrangères ukrainien, Dmytro Kuleba.

Les deux camps se rejettent la responsabilité de la destruction du barrage. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui avait accusé dès mardi la Russie de l’avoir miné et de l’avoir fait exploser, barrant de facto la route à une contre-offensive de ses troupes dans cette zone du sud du pays, a répété mercredi dans un entretien avec son homologue français Emmanuel Macron qu’il s’agissait d’un « acte terroriste russe ».

Lisez la chronique de Laura-Julie Perreault : Faire barrage

Le président russe Vladimir Poutine a affirmé pour sa part mercredi qu’il s’agissait d’« un acte barbare » à imputer à Kyiv.

À Kherson, ville située à 70 km en aval du barrage de Kakhovka, les évacuations se poursuivaient mercredi sous la pression du fleuve tout proche. Dans les rues du centre, l’eau arrive à la taille et en contrebas au bord du Dniepr, c’est de cinq mètres qu’elle est montée.

 « Tout a été inondé », se lamente Dmitri Melnikov, 46 ans, un père de cinq enfants. « Nous sommes ici depuis le début de la guerre, nous avons survécu à l’occupation. Mais maintenant nous n’avons plus de maison, plus rien ».

PHOTO VLADYSLAV MUSIIENKO, REUTERS

Des sauveteurs évacuent une habitante d'une zone inondée après la rupture du barrage de Kakhovka.

À Tchornobaïvka, la banlieue ouest de Kherson, la plus éloignée du fleuve Dniepr, une rivière s’est formée avec la montée des eaux, large de plusieurs centaines de mètres.

 « L’eau monte […] de deux centimètres toutes les demi-heures », a indiqué à l’AFP Laura Moussiïane, du centre météorologique de Kherson.

Selon le ministre ukrainien de l’Intérieur, Igor Klymenko, 1894 personnes ont été évacuées des zones sous contrôle ukrainien, où ont été mobilisés plus de 1600 sauveteurs et policiers. Selon lui, 30 localités ont été inondées dont 10 actuellement sous contrôle russe.

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Les autorités ukrainiennes vont devoir évacuer « plus de 17 000 » civils, avait indiqué mardi le procureur général Andriï Kostine.

Côté russe, les autorités ont évacué « plus de 4000 personnes » et l’état d’urgence a été décrété dans la partie de la région de Kherson contrôlée par Moscou.  

Un nombre inconnu de civils ont également quitté les zones inondées des deux côtés par leurs propres moyens.

 « Acte odieux »

Le président français Emmanuel Macron a condamné un « acte odieux qui met en danger les populations », après son entretien téléphonique avec Volodymyr Zelensky. Il a annoncé l’envoi, « dans les toutes prochaines heures », d’une « aide pour répondre aux besoins immédiats » de l’Ukraine face à cette catastrophe.

Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a annoncé une réunion de coordination des secours jeudi, avec le ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kuleba en visioconférence, après la « destruction scandaleuse » du barrage de Kakhovka.

Londres est de son côté dans l’attente, pour commenter davantage, de « tous les éléments disponibles », a déclaré le ministre britannique des Affaires étrangères, James Cleverly, qui avait souligné la veille que le cas échéant un tel acte constituerait un « crime de guerre ».  

La Maison-Blanche, tout en indiquant manquer elle aussi d’informations à ce stade, et redouter « de nombreux morts », avait également souligné mardi « que la destruction délibérée d’infrastructures civiles n’est pas autorisée par le droit de la guerre ».

La Chine a exprimé sa « vive préoccupation », et Recep Tayyip Erdogan a suggéré la création d’une commission d’enquête internationale.

Lors d’un appel avec son homologue turc, Volodymyr Zelensky a dit mercredi avoir évoqué « les conséquences humanitaires et environnementales » de la destruction du barrage.

Vladimir Poutine a lui assuré à M. Erdogan déplorer « une catastrophe environnementale et humanitaire à grande échelle » en Ukraine après un « acte barbare » qu’il impute à Kyiv.

Ammoniaque

Selon Volodymyr Zelensky, qui craint « des dégâts environnementaux massifs », « des milliers d’animaux sont piégés dans les inondations ». Plus de 150 tonnes d’huile de moteur ont été répandues dans le fleuve et des milliers d’hectares de terres arables vont être inondés, selon Kyiv.

Le ministère de l’Agriculture a dit avoir déjà enregistré une mortalité de poissons dans la zone, prédisant également des pénuries d’eau pour l’irrigation des cultures, le réservoir de Kakhovka se vidant.

La destruction de ce barrage construit dans les années 1950 n’entraîne « pas de danger nucléaire immédiat », a toutefois assuré l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA).

Moscou et Kyiv se sont par ailleurs accusés d’avoir détruit un pipeline près de Massioutovka, un petit village contrôlé par les forces russes dans la région de Kharkiv (nord-est de l’Ukraine).

Le pipeline, qui relie la ville russe de Togliatti, sur les rives de la Volga, à Odessa, le port ukrainien le plus important de la mer Noire, permettait avant la guerre à la Russie d’exporter plus de 2,5 millions de tonnes d’ammoniaque – composant clé des engrais minéraux – notamment vers l’Union européenne.

L’attaque a touché un équipement « crucial pour assurer la sécurité alimentaire dans le monde », a déploré mercredi la diplomatie russe. Oleg Synegoubov, le gouverneur régional ukrainien, avait à l’inverse accusé l’armée russe la veille d’avoir bombardé l’infrastructure.

Son fonctionnement avait été suspendu avec le début de l’invasion russe en février 2022 et Moscou exigeait son redémarrage.

Du côté du front, l’Ukraine a de nouveau revendiqué des progrès près de la ville dévastée de Bakhmout dans l’Est. Selon la vice-ministre de la Défense Ganna Maliar, les forces de Kyiv ont avancé « entre 200 mètres et 1,1 kilomètre ».