La destruction du barrage de Kakhovka menace d’inondations une vingtaine de régions de l’Ukraine situées à proximité du fleuve Dniepr. Au moins 17 000 personnes ont été déplacées mardi, a indiqué le ministère ukrainien de l’Intérieur. Les experts parlent d’une « catastrophe humaine et écologique ».

Les accusations fusent de part et d’autre : qui doit être tenu responsable de la destruction du barrage ?

Bien que Moscou accuse l’Ukraine d’un acte de « sabotage délibéré », il serait peu plausible que l’Ukraine soit directement responsable, selon Dominique Arel, titulaire de la Chaire d’études ukrainiennes et professeur rattaché à l’Université d’Ottawa. Les accusations de Moscou envers l’Ukraine s’inscriraient dans la rhétorique de la propagande russe, indique le politologue. Selon le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, comme l’a rapporté l’Agence France-Presse (AFP), des bombardements venant de l’extérieur du barrage n’auraient pu le détruire de cette manière. Selon Kyiv, il s’agirait d’une tentative pour « freiner » l’offensive ukrainienne.

PHOTO SERGEI SUPINSKY, AGENCE FRANCE-PRESSE

Volodymyr Zelensky, président de l’Ukraine

Quel est l’impact sur la population ?

Le barrage de Kakhovka se trouve à proximité de la ville de Kherson, dans le sud de l’Ukraine, dont les troupes russes s’étaient retirées en novembre 2022. « Nous avons passé neuf mois sous occupation, et maintenant, nous avons été inondés par les occupants », s’est exclamée à l’AFP Iryna, une résidante de 52 ans qui a dû être relocalisée. Pour Dominique Arel, la Russie aurait recours à des stratégies dignes des « tsars et des tyrans soviétiques », puisque la destruction partielle du barrage se serait faite « sans aucun égard envers la population ». L’accès à l’eau potable en Crimée pourrait également être compromis, une situation que le professeur de l’Université d’Ottawa juge potentiellement « catastrophique », bien qu’il soit trop tôt pour le savoir.

Quelles sont les conséquences environnementales des inondations ?

« La Russie est coupable d’un écocide brutal », a martelé le président Zelensky mardi dans un discours en visioconférence. Depuis sa construction en 1956, le barrage de Kakhovka sert à irriguer toutes les terres se situant en aval entre le Dniepr et la Crimée. Selon M. Arel, la destruction du barrage prend des airs de « tactique de la terre brûlée », qui pourrait durement affecter l’agriculture du sud de l’Ukraine. Les répercussions sur les exportations mondiales de céréales, notamment dans des pays d’Afrique, s’étaient déjà fait sentir au début de la guerre, et les inondations pourraient accentuer ce phénomène.

La destruction du barrage pose-t-elle un risque à la sécurité nucléaire ?

La centrale nucléaire de Zaporijjia, la plus importante d’Europe, se situe à 150 km en amont du barrage de Kakhovka. Un certain niveau d’eau doit être maintenu en tout temps dans le bassin de Kakhovka, près de la centrale de Zaporijjia, pour son refroidissement. Bien que le barrage de Kakhovka n’y soit lié qu’indirectement, le débordement engendré par la destruction de l’infrastructure pourrait contribuer à vider le bassin de son eau. Il n’y aurait pas de « risque immédiat à la sécurité de la centrale », a indiqué l’Agence internationale de l’énergie atomique par l’entremise d’un communiqué. Pour Pierre Jolicœur, vice-recteur à la recherche au Collège militaire royal du Canada, il s’agit d’une « possible catastrophe qui se prépare ». Il resterait quatre jours pour trouver une solution.

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La centrale nucléaire de Zaporijjia se situe à 150 km en amont du barrage de Kakhovka, sur le fleuve Dniepr.

La contre-offensive ukrainienne qui se prépare depuis quelques mois pourrait-elle être freinée par la destruction du barrage de Kakhovka ?

Les plans de contre-offensive ne seront pas compromis par la destruction partielle du barrage, a assuré mardi le président Zelensky. Selon Pierre Jolicœur, les succès revendiqués près de la ville de Bahkmout sont des exemples d’opérations ukrainiennes qui semblent indiquer le début de la contre-offensive. « Les Russes ont peur », explique le professeur de science politique. La destruction du barrage n’a pas l’air d’une coïncidence, mais plutôt d’une réponse à la recrudescence des activités militaires ukrainiennes.

À quoi s’attendre pour la suite ?

Le sentiment de sympathie pro-ukrainien, déjà bien présent du côté occidental, pourrait prendre de l’ampleur dans le monde entier avec l’explosion qui semble avoir eu lieu au barrage de Kakhovka. C’est l’avis de M. Jolicœur, qui juge que M. Zelensky détient d’une nouvelle preuve de l’impitoyabilité de la Russie pour solliciter des appuis, surtout en ce qui concerne l’équipement militaire et les armes de haute performance. « Peut-être que la catastrophe du barrage est la goutte qui fera déborder le vase et qui, finalement, permettra de débloquer les ressources », indique le professeur de science politique.