(Istanbul) L’indéboulonnable Recep Tayyip Erdoğan, confirmé dimanche pour cinq années supplémentaires à la tête de la Turquie, a appelé son pays à « la solidarité et à l’unité » face aux défis qui l’attendent.

Juché sur un bus devant son domicile d’Istanbul, sur la rive asiatique du Bosphore, le président de 69 ans, dont 20 au pouvoir, avait revendiqué la victoire en début de soirée devant une mer de drapeaux rouges brandis par une foule enthousiaste.

« Notre nation nous a confié la responsabilité de gouverner le pays pour les cinq prochaines années », a-t-il lancé au terme d’une élection qui l’a contraint pour la première fois à un second tour.

De retour à Ankara au cœur de la nuit, célébré par une foule de dizaines de milliers de partisans qui l’attendait depuis des heures devant le palais présidentiel, le chef de l’État n’a pas manqué de faire huer son adversaire malheureux, Kemal Kiliçdaroğlu.

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Partisans de Recep Tayyip Erdoğan rassemblés dans les rues d’Istanbul

Avant d’estimer qu’il « est temps de mettre de côté les disputes de la campagne électorale et de parvenir à l’unité et à la solidarité autour des rêves de notre nation ».

« La Turquie a gagné ! », a-t-il lancé entre deux portraits géants projetés sur la façade monumentale : le sien et celui de son plus illustre prédécesseur, Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur de la République qui célèbre cette année ses 100 ans.

Selon les résultats portant sur plus de 99,85 % des bulletins, le chef de l’État a obtenu 52,16 % des suffrages, contre 47,84 % au candidat social-démocrate Kemal Kiliçdaroğlu qui, à 74 ans, a perdu le pari de la « démocratie apaisée » qu’il promettait.

Rassemblements spontanés

La commission électorale turque (YSK) a confirmé dans la soirée la victoire du chef de l’État et publiera les résultats définitifs en début de semaine.

Dans la soirée, des rassemblements spontanés se sont formés autour du siège de son parti – le Parti de la justice et du développement (AKP) – à Istanbul, dont les rues résonnaient de coups de klaxon, et une foule considérable s’est massée devant le palais présidentiel à Ankara pour l’attendre.

Des scènes de liesse ont eu lieu à travers le pays ainsi que dans plusieurs grandes villes européennes, dont Berlin, où vit une importante communauté turque.

« On est heureux, Dieu a exaucé nos vœux. Recep Tayyip Erdoğan est un très grand leader, un leader très puissant. Et il a beaucoup fait progresser la Turquie », s’est félicité dimanche soir à Istanbul Soner Ceylan, 52 ans.

Le président de la Russie, Vladimir Poutine, qui n’avait pas caché son soutien au président, a rapidement salué un « résultat logique », de même que le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, qui a dit espérer « renforcer ses liens avec Ankara ».

Premier des dirigeants occidentaux, le président français, Emmanuel Macron, a également « félicité » M. Erdoğan, suivi par le chancelier allemand, Olaf Scholz, et les responsables de l’Union européenne Ursula Von der Leyen et Charles Michel, notamment.

« Félicitations, président [Erdoğan], pour les résultats électoraux d’aujourd’hui. Nos pays sont de proches partenaires unis par des liens étroits. J’ai hâte de renforcer davantage ce partenariat et de réaliser des progrès pour les Canadiens et les Turcs », a pour sa part écrit sur Twitter le premier ministre du Canada, Justin Trudeau.

Le rival malheureux du président Erdoğan a pris la parole depuis le siège de son parti, le Parti républicain du peuple fondé par Mustafa Kemal, pour exprimer sa « réelle tristesse face aux difficultés qui attendent le pays ».

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L’opposant Kemal Kiliçdaroğlu

Ni le désir de changement d’une partie de l’électorat, ni l’inflation importante qui mine la Turquie, ni les restrictions aux libertés et l’hyperprésidentialisation d’un pouvoir qui a envoyé des dizaines de milliers d’opposants derrière les barreaux ou en exil n’ont pesé face au désir de sécurité et de stabilité.

Pas même les conséquences du terrible du séisme de février (au moins 50 000 morts et 3 millions de déplacés) dans 11 provinces du sud du pays, qui ont largement reconduit le chef de l’État.

Habileté

« Erdoğan a joué la carte du nationalisme avec beaucoup d’habileté, l’opposition n’a pas su proposer une alternative susceptible » de convaincre malgré la mauvaise situation économique du pays, a estimé Galip Dalay, chercheur associé au Middle East Council on Global Affairs.

Le parti du président Erdoğan, l’AKP islamo-conservateur sur lequel il a bâti son accession au pouvoir suprême, a perdu des sièges au Parlement, mais conserve sa majorité avec ses alliés.

Kemal Kiliçdaroğlu encaisse quant à lui une défaite de plus après avoir promis le « retour du printemps ».

Considéré par beaucoup, y compris au sein de son alliance de l’opposition, comme terne et sans charisme, M. Kiliçadaroğlu n’a pas su profiter de la crise économique pour remporter la victoire.

Visage fatigué, se déplaçant avec lenteur, Recep Tayyip Erdoğan avait voté à la mi-journée dans son quartier d’Usküdar à Istanbul : une foule enjouée l’y attendait, à laquelle les gardes du corps ont distribué des jouets tandis qu’il glissait quelques billets de banque à des enfants.

Presque simultanément, tout sourire malgré les pronostics défavorables, Kemal Kiliçdaroğlu déposait son bulletin à Ankara en incitant ses concitoyens à voter « pour se débarrasser d’un gouvernement autoritaire ».

Le camp Erdoğan n’a eu de cesse de qualifier l’opposition emmenée par Kiliçdaroğlu de « terroriste » en raison du soutien que lui ont apporté les responsables du Parti démocratique des peuples, qui est prokurde.

Les personnes interrogées par l’AFP dans les files d’attente des bureaux de vote ont témoigné de la polarisation du pays après ces semaines de campagne.

Campagne difficile

Kemal Kiliçdaroğlu a été largement privé d’accès aux grands médias et surtout aux chaînes de télévision officielles, qui ont réservé 60 fois plus de temps d’antenne à son rival, selon l’organisation Reporters sans frontières.

Face à son rival discret d’obédience alévie, une branche de l’islam jugée hérétique par les sunnites rigoristes, Recep Tayyip Erdoğan a multiplié les rassemblements, s’appuyant sur les transformations qu’il a su apporter au pays depuis son accession au pouvoir comme premier ministre en 2003.

Sa réélection intervient 10 ans jour pour jour après le début des grandes manifestations de « Gezi » qui s’étaient répandues dans tout le pays et avaient été sévèrement réprimées.