Un virus intestinal a cloué au lit le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, à quelques semaines des élections qui pourraient lui coûter sa place à la tête du pays. Une première en 20 ans.

Pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir en 2003, le flamboyant Recep Tayyip Erdoǧan voit ses appuis vaciller, observent des experts. Les élections se tiendront le 14 mai dans ce pays qui relie l’Europe au Moyen-Orient.

Des sondages donnent une faible avance à son principal rival, Kemal Kılıçdaroğlu, à la tête d’une coalition de six partis de l’opposition.

« Ce sont des élections qui paraissent décisives, tant pour la destinée de M. Erdoǧan que pour tous ses propos, son idéologie et sa façon de gouverner le pays depuis une vingtaine d’années », estime Sami Aoun, directeur de l’Observatoire du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord de la Chaire Raoul-Dandurand.

Mardi soir, le président sortant a dû interrompre une entrevue en direct à la télévision turque pour cause de « grippe intestinale ».

Il a dû se reposer mercredi, a-t-il annoncé sur Twitter, et n’a pas pu se rendre comme prévu dans les communautés de Kırıkkale, Yozgat et Sivas.

Son congé de maladie se poursuivra ce jeudi. Il devra manquer l’inauguration de la première centrale nucléaire du pays, construite par l’entreprise russe Rosatom.

Sur la scène internationale, Recep Tayyip Erdoğan joue ainsi les équilibristes, analyse M. Aoun. Le pays est membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord et a offert son soutien à l’Ukraine, mais sans couper les ponts avec la Russie, ce dont témoigne cette nouvelle centrale nucléaire.

Inflation et tremblement de terre

Les ménages peinent à joindre les deux bouts en Turquie, où l’inflation a atteint des sommets de 50 %. Cette crise économique galopante peut être en partie attribuée à la gestion du président sortant, rapportaient des experts au New York Times à la mi-avril. Et c’est un sujet chaud de cette campagne électorale.

« Sortir de la crise économique est sans aucun doute un enjeu fondamental », observe le doctorant en droit de l’Université McGill, Atagün Kejanlioglu. « La campagne de Kılıçdaroğlu tente toujours de revenir sur [ce sujet] chaque fois qu’Erdoǧan fait un commentaire pour renforcer la polarisation identitaire », ajoute M. Kejanlioglu, qui vient de la Turquie.

« L’inflation a été à l’un de ses plus hauts points dans le monde, alors que dans la décennie précédente, il y avait eu un boom de croissance en Turquie », explique aussi Laurence Deschamps-Laporte, directrice scientifique du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal.

La série de séismes ayant coûté la vie à plus de 40 000 personnes en février peut aussi nuire à l’image du président sortant.

« Les projets de construction ont toujours été utilisés pour mobiliser l’électorat d’Erdoǧan pendant les campagnes électorales, indique M. Kejanlioglu. L’effondrement de quelques hôpitaux récemment construits et les dégâts survenus à l’aéroport de Hatay ont soulevé des questions de crédibilité. »

« La première fois où Erdoğan a été propulsé au pouvoir, c’était à la faveur d’un séisme [celui de 1999]. Cette fois, est-ce que c’est un séisme qui va avoir raison de lui ? se demande Sami Aoun. Il y avait plusieurs entrepreneurs de l’entourage du président sortant, corrompus, qui ont commis des infractions au code du bâtiment. »

À ces deux crises s’ajoute celle des millions de réfugiés qui vivent en Turquie, pays qui en accueille le plus au monde. « C’est une terre d’accueil, la Turquie, mais quand l’économie vacille, c’est une situation difficile », indique Mme Deschamps-Laporte.

Unis contre l’autoritarisme

Les six partis de l’opposition rassemblés derrière Kemal Kılıçdaroğlu partagent une vision politique commune : déloger Erdoǧan et ramener le système politique parlementaire qui existait avant 2018.

« Il y a eu un resserrement du pouvoir politique, et c’est une réalité qui est inquiétante pour la démocratie en Turquie », selon Mme Deschamps-Laporte.

En effet, depuis le coup d’État raté de 2016, des dizaines de milliers de personnes ont été emprisonnées et les pouvoirs se sont centralisés dans les mains du président.

La coalition de M. Kılıçdaroğlu rassemble des partis de l’opposition, tant de centre droit que de centre gauche, nationalistes ou pro-Europe, laïques ou islamiques.

PHOTO BULENT KILIC, AGENCE FRANCE-PRESSE

Kemal Kılıçdaroğlu, candidat à la présidentielle

Mais ce qui pourrait vraiment faire pencher la balance de leur côté, c’est l’appui tacite des Kurdes. En effet, l’alliance des partis de gauche et prokurdes n’a pas nommé de candidat et soutient M. Kılıçdaroğlu.

« Ces gens ont une forte mobilisation qui peut atteindre 11 %, voire 12 % des voix », détaille M. Aoun, aussi professeur émérite à l’Université de Sherbrooke. « Ils vont vraiment être le parti qui va décider du sort d’Erdoǧan. »

Cette même tactique a permis à l’opposition de défaire certains candidats soutenus par le président lors des élections municipales de 2019.

Un coup dur, selon Atagün Kejanlioglu : « Ça a brisé le culte de l’invincibilité autour d’Erdoǧan. »

Avec l’Agence France-Presse