(Paris) Le président chinois était arrivé cette semaine à Moscou dans une posture de médiateur entre la Russie et l’Ukraine. Mais Xi Jinping a plutôt signalé son soutien appuyé au président russe Vladimir Poutine face aux Occidentaux qui s’efforcent de l’isoler.

Après sa troisième réélection à la tête de la Chine, Xi Jinping a réservé sa première visite d’État au chef du Kremlin. Un voyage hautement symbolique qui a consacré le renforcement des liens entre les deux dirigeants et mis à mal la prétendue neutralité de Pékin dans le conflit en Ukraine.

« La visite de Xi a enhardi Poutine », résume Liana Fix, experte au Council on Foreign Relations (CFR), un centre de réflexion américain, soulignant que cette visite s’est déroulée quelques jours après l’émission par la Cour pénale internationale (CPI) d’un mandat d’arrêt international visant le président russe.  

Cette visite a été « perçue par le monde non occidental comme un contrepoids à la décision » de la CPI, poursuit Alexandre Baounov, expert de la Fondation Carnegie. C’est « comme si le dirigeant chinois avait brisé la malédiction sur Poutine ».

Et preuve que Xi souhaite donner une place de choix au président russe : il l’a invité à lui rendre visite à Pékin.

« Soutien implicite »

Pour l’experte du CFR, du point de vue de Moscou, cette visite signale « le soutien implicite – même si ce n’est pas un soutien proactif de la Chine — » pour continuer à se battre en Ukraine.

Sam Greene, directeur au Centre de réflexion CEPA, basé à Washington, abonde.  

« Il s’agit d’un cadeau pour Poutine – essentiellement la permission de Pékin de continuer à se battre », a-t-il réagi sur son compte Twitter, tout en n’excluant pas « une surprise » si Xi Jinping et le président ukrainien Zelensky venaient à s’entretenir. Pour l’heure, l’entretien, souhaité par Kyiv, n’a pas été confirmé.  

La Chine n’a jamais appliqué de sanctions occidentales contre Moscou. Elle ne s’est pas privée d’augmenter ses importations d’hydrocarbures en provenance de Russie et d’accroître ses intérêts économiques dans le pays voisin.

Et ses récentes propositions de paix ont suscité beaucoup de scepticisme côté occidental.  

Pour Antoine Bondaz, spécialiste de la politique étrangère chinoise à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), « ce qui se joue aujourd’hui pour la Chine dans la guerre en Ukraine, ce n’est pas l’avenir de l’Ukraine, elle s’en contrefiche […] C’est la rivalité sino-américaine et la volonté de discréditer les pays occidentaux ».  

Le voyage du président chinois « est tout sauf une distanciation » vis-à-vis de Moscou, dit-il.  

Pour l’heure, au-delà du signal politique de Pékin qui partage avec Moscou la même hostilité viscérale envers les États-Unis, le partenariat sino-russe tourne à l’avantage de la Chine plus que de la Russie, estiment les experts.

Pas de partenariat « d’égal à égal »

« Alors que Xi et Poutine ont de nombreux intérêts communs, il semble de plus en plus évident qu’il ne s’agit pas d’un partenariat d’égal à égal », constate Jon Alterman, expert au centre de réflexion américain CSIS (Center for Strategic and International Studies).  

« Poutine a besoin de Xi bien plus que Xi a besoin de Poutine », ajoute-t-il allusion à la dépendance accrue de la Russie à ses exportations d’hydrocarbures vers la Chine, qui ont explosé depuis le début de la guerre et devraient encore davantage s’accentuer avec le projet de gazoduc Force de Sibérie 2.

In fine, « Poutine sort de cette visite renforcé à court terme, mais plus dépendant de la Chine à long terme », résume Tatiana Jean, directrice du centre Russie/NEI à l’Institut français des relations internationales (IFRI).

Elle observe que Pékin est dans le contexte actuel « le plus précieux soutien politique et économique pour la Russie ». Et « tant qu’elle a son soutien, masqué par le paravent de la position prétendument neutre de la Chine, elle pourra continuer la guerre ».

Pour autant, Moscou, embourbé dans le conflit ukrainien, n’a pour l’heure pas obtenu le soutien militaire.

La Chine n’a pas encore « franchi la ligne » consistant à livrer des armes létales à la Russie en pleine guerre en Ukraine, a signalé mercredi le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken devant le Sénat.

Depuis plusieurs semaines, la diplomatie américaine exerce une intense pression diplomatique sur la Chine pour éviter de telles livraisons.

Antoine Bondaz ne croit « pas un seul instant que la Chine livrera massivement des systèmes d’armement à la Russie » au moment où Pékin entend jouer le rôle de stabilisateur « auprès de pays non occidentaux ». D’autant qu’elle s’exposerait à des sanctions.

Sur une note plus optimiste, certains spécialistes à l’instar de l’expert indépendant Konstantin Kalatchev estiment que « l’essentiel est que ce sommet a réduit à zéro les risques d’une escalade du conflit entre Moscou et Kyiv vers un conflit nucléaire ».

Car, dit-il, le président russe ne va pas risquer de « décevoir son principal partenaire, Xi, qui assure sa survie ».