(Paris) La réforme des retraites, extrêmement impopulaire mais voulue par le président français Emmanuel Macron, a été définitivement adoptée lundi à l’issue de deux mois de contestation d’ampleur qui ont considérablement affaibli son gouvernement confronté à une crise sociale et politique majeure.

Feux de poubelles, barricades, cortèges arpentant les rues : des points de tension sporadiques ont émaillé en soirée plusieurs artères du centre de Paris et de plusieurs villes de France. Dans la capitale, une centaine de personnes ont été interpellées.

L’Assemblée nationale a rejeté deux motions de censure, entraînant l’adoption définitive par le Parlement du projet contesté prévoyant un report de l’âge légal de 62 à 64 ans.

Si la motion présentée par l’extrême droite n’a recueilli que 94 voix sur les 297 nécessaires, une première motion transpartisane avait auparavant été rejetée de justesse, à neuf voix près, illustrant la fragilité de la position de l’exécutif.

Ces motions, visant à renverser le gouvernement d’Élisabeth Borne, avaient été déposées après la décision jeudi de l’exécutif d’utiliser l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter son projet de loi sans vote, fustigé comme un « déni de démocratie » par les partis d’opposition.

Elles ont été débattues dans une ambiance électrique, marquée par des députés qui ont quitté l’hémicycle à plusieurs reprises.

Le « gouvernement est d’ores et déjà mort aux yeux des Français », a lancé la présidente du groupe La France Insoumise (LFI, gauche radicale) Mathilde Panot, après le vote de la motion rejetée de justesse.

De leur côté, les députés d’extrême droite (RN) ont dénoncé le « marasme » et « l’enlisement » de l’exécutif.

La gauche a soumis au Conseil constitutionnel une demande de référendum d’initiative partagée, une procédure devant recueillir 4,87 millions de signatures pour permettre l’organisation d’un référendum.  

PHOTO LEWIS JOLY, ASSOCIATED PRESS

La première ministre Élisabeth Borne

Mme Borne, qui s’est entretenue lundi soir avec le président Macron, s’est pour sa part dite « déterminée à continuer à porter les transformations nécessaires ».

Ses services ont indiqué qu’elle allait saisir « directement le Conseil constitutionnel » pour un examen « dans les meilleurs délais » du texte.

« Enlisement »

Après deux mois de concertations et une intense mobilisation syndicale et populaire contre le projet, le passage en force de l’exécutif avec l’usage du 49.3 avait été vilipendé par l’opposition.

Depuis le 19 janvier, des centaines de milliers de Français ont manifesté à huit reprises pour dire leur refus de la réforme. Les opposants la jugent « injuste », notamment pour les femmes et les salariés aux métiers pénibles.

À la tribune à l’Assemblée lundi, la première ministre a dénoncé le « déchaînement de violence » de certains députés de gauche, tout en ajoutant avoir « bien conscience de l’état d’esprit » actuel du pays et de « l’effort » que cette réforme « demande à bon nombre » de ses « compatriotes ».  

La France est l’un des pays européens où l’âge légal de départ à la retraite est le plus bas, sans que les systèmes de retraite ne soient complètement comparables. Le gouvernement a fait le choix de retarder l’âge du départ à la retraite pour répondre à la dégradation financière des caisses de retraite et au vieillissement de la population.  

Nombre d’analystes estiment que cette réforme et la contestation qu’elle a entraînée laisseront une trace indélébile sur le second quinquennat d’Emmanuel Macron.

Feux de poubelles

Après le rejet de la motion de censure, quelques centaines de personnes, rejointes par des députés LFI, se sont d’abord rassemblées non loin de l’Assemblée nationale, avant d’être canalisées par les forces de l’ordre.

Toute la soirée, par petits groupes, les manifestants ont déambulé dans le centre de la capitale, renversant sur leur passage trottinettes électriques et vélos, ou mettant le feu à des poubelles qui s’entassent sur les trottoirs de nombreux quartiers, le ramassage des ordures restant perturbé malgré les réquisitions ordonnées par le préfet.

Ils ne cherchaient pas la confrontation avec les forces de l’ordre, selon les journalistes de l’AFP sur place, mais plutôt à se livrer au jeu du chat et de la souris. Les forces de l’ordre ont employé à plusieurs reprises des gaz lacrymogènes.  

« On entend que les jeunes ne sont pas mobilisés. Nous voilà. C’est pour les retraites et pour le reste. C’est un tout, une accumulation », a expliqué à l’AFP une étudiante désirant rester anonyme, la manifestation n’étant pas déclarée.

Les mêmes scènes se sont reproduites dans plusieurs grandes villes, comme à Strasbourg (est), Lyon (sud-est) ou Rennes (ouest).

Une nouvelle journée de grèves et de manifestations est prévue jeudi à l’appel des syndicats, qui continuent à réclamer le retrait du texte.

En raison de la grève dans les raffineries qui se durcit, de nombreuses stations-service sont à sec, principalement dans le sud-est du pays, pour la première fois depuis le début du conflit.