(Paris) Les manifestations de colère et de blocages se poursuivent lundi en France, peu avant le vote à l’Assemblée sur deux motions de censure visant le gouvernement, vilipendé pour son passage en force sur la très contestée réforme des retraites.

Les députés vont voter sur deux motions, l’une « transpartisane » déposée par le groupe parlementaire indépendant centriste LIOT, et l’autre par le Rassemblement national (RN-extrême droite), dans un contexte de vives tensions.

Ces motions sont consécutives au recours jeudi par le gouvernement à l’article 49.3 de la Constitution, qui permet une adoption d’un texte sans vote si aucune motion de censure n’aboutit.

Emmanuel Macron, véritable initiateur du « 49.3 » et qui était resté silencieux sur le sujet depuis jeudi, a, dans un message aux présidents du Sénat et de l’Assemblée transmis à l’AFP, exprimé « son souhait que le texte sur les retraites puisse aller au bout de son cheminement démocratique dans le respect de tous ».

Après deux mois de concertations et une intense mobilisation syndicale et populaire contre le projet, le passage en force de l’exécutif a été vilipendé par l’opposition.

Depuis le 19 janvier, des centaines de milliers de Français ont manifesté à huit reprises pour dire leur refus de cette réforme, dont la mesure phare, le recul de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans, cristallise la colère.

PHOTO RAYMOND ROIG, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des manifestants ont érigé une barricade bloquant l’accès au site de stockage de carburant de Port-la-Nouvelle, dans le sud de la France, pour protester contre la réforme des retraites, le 19 mars.

Les opposants à la réforme la jugent « injuste », notamment pour les femmes et les salariés aux métiers pénibles.  

Mais cette opposition devra se montrer unie à l’Assemblée lundi, de l’extrême droite à la gauche radicale, et compter sur une trentaine de votes des députés Les Républicains (LR, droite traditionnelle) pour renverser le gouvernement, qui ne dispose que d’une majorité relative à l’Assemblée.

Un scénario improbable mais pas impossible pour autant, alors que la pression monte sur les parlementaires.

« Marqué au corps »

Lundi, des manifestations sur des échangeurs routiers ou sur les rocades de plusieurs villes ont entraîné des ralentissements ou des blocages de la circulation.  

À Rennes (Ouest), les blocages provoqués par des manifestants ont causé d’importantes perturbations du trafic puis ont été levés en fin de matinée. Ce type d’action « permet de parler avec les gens, d’expliquer pourquoi on fait ça, et aussi de montrer le mécontentement de la rue en France et au niveau international », ont dit à l’AFP Erwann et Florian, deux étudiants en informatique présents sur un blocage.

À Paris, le ramassage des ordures est toujours perturbé malgré les réquisitions ordonnées par le préfet.

Si la réforme est votée, éboueurs et agents d’assainissement partiront à la retraite à 59 ans au lieu de 57.

« Chaque jour, je me lève à 4 h 45 pour aller porter, à deux, entre six et 16 tonnes d’ordures. J’ai des tendinites aux deux coudes. La douleur aux lombaires, on n’en parle même plus. On est marqué au corps par le travail », soupire Karim Kerkoudi, 53 ans, éboueur parisien et 21 ans de métier, interrogé près d’un site d’incinération en région parisienne où une trentaine de personnes — grévistes et leurs soutiens — sont rassemblés.  

La Direction générale de l’aviation civile (DGAC) a demandé aux compagnies aériennes d’annuler mardi et mercredi 20 % de leurs vols à Paris-Orly et à Marseille-Provence (Sud-Est).

De nombreuses stations-service étaient affectées lundi dans le sud-est du pays par des pénuries de carburants, sur fond de grèves des expéditions dans les raffineries.

Et des étudiants parisiens ont voté lundi l’occupation de la faculté de Tolbiac, site universitaire emblématique de la capitale.    

Trace indélébile

La France est l’un des pays européens où l’âge légal de départ à la retraite est le plus bas, sans que les systèmes de retraite ne soient complètement comparables. Le gouvernement a fait le choix d’allonger la durée de travail pour répondre à la dégradation financière des caisses de retraite et au vieillissement de la population.  

Nombre d’analystes estiment que cette réforme des retraites et la contestation qu’elle a entraînée laisseront d’ores et déjà une trace indélébile sur le second quinquennat d’Emmanuel Macron, qui avait fait de ce projet le symbole de sa volonté réformatrice.

Dans une note sur la France, l’agence de notation financière Moody’s a estimé que l’usage très contesté de l’article 49.3 va « rendre difficile l’adoption de futures réformes ».

Cette décision du gouvernement est « susceptible de compliquer les tentatives futures de légiférer et de mettre en œuvre des réformes macroéconomiques structurelles pendant le reste du mandat » d’Emmanuel Macron.