(Paris) Les opposants à la réforme des retraites mettent à profit le week-end pour exprimer leur colère, après l’activation du 49.3 et avant le débat sur les motions de censure, dans des rassemblements en régions et à Paris, où la Concorde est désormais interdite aux manifestants.

La place de la Concorde a été placée sous la très haute surveillance de centaines de policiers, et des canons à eau y ont été prépositionnés. Les forces de l’ordre ont procédé à de nombreuses fouilles de passants et demandé aux personnes de circuler, selon des journalistes de l’AFP.  

PHOTO LEWIS JOLY, ASSOCIATED PRESS

Des policiers veillent à ce que personne ne manifeste sur la place de la Concorde, à Paris.

À 19 h, la place s’est vidée des centaines de personnes présentes une heure auparavant qui déambulaient sans pancarte ni banderole, rendant impossible de dire s’il s’agissait de passants ou de manifestants potentiels.

La préfecture avait annoncé plus tôt que tout rassemblement était interdit à cet endroit, situé à quelques centaines de mètres de l’Assemblée nationale et de l’Élysée, lieu de ralliement des opposants à la réforme jeudi et vendredi soir. Vendredi, des heurts violents s’étaient produits, avec 61 interpellations en tout.

Toujours à Paris, la CGT Île-de-France a organisé un rassemblement place d’Italie (sud de Paris), qui s’est mué en cortège et remontait vers le nord de la capitale. Parmi les participants, Mme Allemand (qui n’a pas souhaité donner son prénom), technicienne à Santé publique France, dit « être usée par le travail ». « Je suis assise devant l’ordinateur toute la journée, j’ai mal aux yeux, mal à la tête, j’ai déjà fait deux phlébites », raconte cette femme de 55 ans.

Des heurts avec la police ont éclaté en fin de soirée, avec jets de projectiles, feux de poubelles et barricades. Selon une source policière, 81 personnes ont été interpellées sur la place d’Italie et aux alentours, où le calme est revenu vers 22 h 30.

PHOTO JULIEN DE ROSA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des protestataires marchent à la Place d’Italie à Paris.

« On va continuer »

Quelques centaines de manifestants ont défilé à Marseille. Dont Romain Morizot, 33 ans, ingénieur télécom dans l’aviation, qui témoigne : « Que nous reste-t-il à part continuer à manifester ? On n’a que la mobilisation, qui était pacifique jusqu’au 49.3. Mais maintenant, ça va potentiellement mettre de la tension sociale partout. On va continuer, on n’a pas le choix ».

PHOTO LOIC VENANCE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des policiers mettent en état d’arrestation des manifestants à Nantes.

Les rassemblements se sont déroulés dans plusieurs lieux en régions, des grosses villes aux bourgs moyens : Lille, Amiens, Caen, Saint-Étienne, Roanne, Besançon, Dijon, Grenoble, Gap, Annecy, Lodève, etc.

Certains cortèges ont compté plusieurs milliers de personnes, comme à Nantes (6000 selon la police, 15 000 selon les syndicats) ou Brest (entre 5 et 8000), avec quelques tensions. À Bordeaux, un cortège improvisé a réuni 1900 personnes selon la préfecture.  

À Lyon, la préfecture a annoncé sur Twitter l’interpellation de 15 personnes après des incidents causés par « des groupes d’individus violents » près de la place Bellecour.

Jeudi, peu après le recours par Elisabeth Borne à l’article 49.3 de la Constitution, qui permet l’adoption d’un texte sans vote, sauf motion de censure, l’intersyndicale avait appelé à des rassemblements ce week-end. Et à une 9e journée de grèves et manifestations le 23 mars.

« Le président de la République suit évidemment l’évolution de la situation » sur le terrain, a indiqué l’entourage d’Emmanuel Macron à l’AFP.

Selon le baromètre mensuel de l’Ifop publié par le Journal du Dimanche, la popularité d’Emmanuel Macron s’est écroulée en mars, à 28 %, au plus bas depuis le sortir de la crise des « gilets jaunes » en 2019. D’après cette étude réalisée auprès de 1928 personnes entre le 9 et le 16 mars, soit avant le recours au 49.3, le chef de l’État fait 70 % de mécontents.

PHOTO MICHEL EULER, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président français Emmanuel Macron

Côté grèves, la mise à l’arrêt de la plus importante raffinerie du pays, la raffinerie de Normandie (TotalEnergies), en Seine-Maritime, a débuté vendredi soir, a indiqué à l’AFP Alexis Antonioli, responsable CGT. Cette opération prendra plusieurs jours et ne devrait pas provoquer de pénuries de carburant immédiates dans les stations-service du pays.

Jusqu’à présent, les grévistes s’étaient contentés de bloquer les expéditions de carburant, mais les raffineries continuaient à produire.

10 000 tonnes de déchets

Le ministre de l’Industrie Roland Lescure a laissé entendre samedi que le gouvernement procéderait à des réquisitions en cas de mise à l’arrêt.

De telles mesures sont « en train d’être déployées » avec les éboueurs parisiens, a-t-il ajouté. Dans la capitale, 10 000 tonnes d’ordures s’entassent toujours sur les trottoirs, selon la mairie. Elle évoque samedi « une stabilisation » du volume des déchets non ramassés dans la capitale.

PHOTO BERTRAND GUAY, AGENCE FRANCE-PRESSE

Environ 10 000 tonnes de déchets jonchent les trottoirs à Paris.

Selon la préfecture, « cinq garages de camions-bennes ont repris une activité » et « deux sociétés concessionnaires de traitement ainsi que plusieurs agents (ont) été requis depuis » vendredi.

Les motions de censure, déposées par le groupe indépendant Liot et par des élus du Rassemblement national (RN), seront débattues et mises au vote de l’Assemblée nationale lundi à partir de 16 h, a-t-on appris de sources parlementaires.

La motion déposée par le petit groupe Libertés, Indépendants Outre-mer et Territoires (Liot) est « transpartisane » et cosignée par des élus de la Nupes.  

Cette dernière a davantage de chances d’être votée par des députés de droite défavorables à la réforme des retraites que celle du RN. Mais la barre de la majorité absolue pour faire chuter le gouvernement paraît difficile à atteindre.