(Badhoevedorp) Un tribunal néerlandais a condamné jeudi trois hommes à la réclusion à perpétuité pour l’écrasement du vol MH17 de Malaysia Airlines au-dessus de l’Ukraine en 2014, dans un contexte de tensions croissantes autour du conflit russo-ukrainien depuis février.

Les Russes Igor Guirkine et Sergueï Doubinski et l’Ukrainien Leonid Khartchenko ont été reconnus coupables de meurtre et d’avoir joué un rôle dans la destruction d’un avion. Ils ont été condamnés par contumace, car ils ont refusé d’assister au procès, qui a duré deux ans et demi.

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Le juge président Hendrik Steenhuis (deuxième à partir de la gauche).

Le Russe Oleg Poulatov, le seul à avoir été représenté par un avocat, a été acquitté.

La Russie a dénoncé une décision « politique ». « Le procès aux Pays-Bas a toutes les chances de devenir l’un des plus scandaleux dans l’histoire des procédures judiciaires », a réagi le ministère russe des Affaires étrangères dans un communiqué.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a quant à lui salué cette « décision importante ». « La punition pour toutes les atrocités russes — à la fois d’hier et d’aujourd’hui — sera inévitable », a-t-il ajouté.

Les 298 passagers et membres d’équipage ont été tués lorsque l’appareil reliant Amsterdam à Kuala Lumpur a été touché au-dessus de l’est de l’Ukraine tenue par les séparatistes prorusses, par un missile BUK identifié comme provenant de la 53e brigade de missiles antiaériens de Koursk en Russie, a déclaré le tribunal.

Des proches des victimes sont venus du monde entier pour assister à l’énoncé de ce verdict très attendu devant un tribunal hautement sécurisé près de l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol, d’où le Boeing 777 avait décollé le 17 juillet 2014.

« Le tribunal qualifie les accusations prouvées de si graves qu’il estime que seule la peine de prison la plus élevée possible serait appropriée », a déclaré le juge président Hendrik Steenhuis.

« Imposer ces peines ne peut pas enlever la douleur et la souffrance, mais espérons qu’aujourd’hui, des réponses ont été apportées sur qui est à blâmer », a-t-il ajouté.

Aucun des suspects n’était présent au tribunal, car la Russie a refusé de les extrader.

La ministre australienne des Affaires étrangères Penny Wong a réagi vendredi, exhortant la Russie à remettre les trois hommes à la justice.

« Nous appelons la Russie à remettre ces condamnés afin qu’ils purgent la sentence du tribunal pour leurs crimes motivés par la haine », a indiqué Mme Wong, accusant le président russe Vladimir Poutine « de protéger des meurtriers ».

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Les corps des victimes placés dans des sacs de plastique aux abords du site de l’écrasement, le 19 juillet 2014.

« Justice a été rendue »

Le procès représente la fin d’une longue quête de justice pour les proches des victimes, originaires de dix pays, dont 196 Néerlandais, 43 Malaisiens et 38 Australiens.

« Justice a été rendue. Nous voulions savoir la vérité, nous voulions que justice soit faite et cela s’est passé dans un verdict très équilibré », s’est réjoui Piet Ploeg, qui a perdu son frère, sa belle-sœur et son neveu.

« Le rôle de la Russie a été très clairement confirmé par la Cour, et il est au moins aussi important que celui des trois condamnés », a-t-il ajouté auprès de l’AFP.

L’écrasement du vol MH17 a été provoqué par le tir d’un missile depuis un champ agricole près de Pervomaïskyi (dans l’est de l’Ukraine), tuant tous les passagers, selon le tribunal.

Le drame avait suscité l’indignation mondiale et entraîné des sanctions contre Moscou. Les célèbres champs de tournesol ukrainiens avaient été jonchés de corps et de débris.

Les juges ont estimé que Igor Guirkine, Sergueï Doubinski et Leonid Khartchenko pouvaient être tenus responsables du transport du missile depuis une base militaire en Russie et de son déploiement sur le site de lancement, même s’ils n’ont pas appuyé eux-mêmes sur la gâchette.

Il n’y avait pas suffisamment de preuves pour démontrer qu’Oleg Poulatov était impliqué, ont-ils déclaré.

« Abondance de preuves »

Igor Guirkine, 51 ans, ancien espion russe devenu ministre de la Défense de la République populaire séparatiste de Donetsk, était régulièrement en contact avec Moscou, notamment au sujet du système de missiles, a déclaré le tribunal.

Leonid Khartchenko, 50 ans, qui aurait dirigé une unité séparatiste, a reçu des ordres directs de Sergueï Doubinski, 60 ans, également lié aux services de renseignement russes, pour amener le missile vers le lieu de lancement.

Ils avaient apparemment l’intention d’abattre un avion militaire ukrainien plutôt qu’un avion civil, mais cela ne change rien à leur culpabilité, selon les juges.

Le fait que la Russie a toujours démenti avoir eu le contrôle de la région au moment de l’écrasement signifie que les accusés ne pouvaient pas revendiquer l’immunité contre les poursuites en tant que combattants, ont-ils ajouté.

Le tribunal a estimé qu’il existait « une abondance de preuves » pour déterminer que l’avion avait été détruit par un missile BUK et a rejeté tout autre « scénario alternatif » avancé par la défense, notamment une éventuelle implication d’un avion de chasse ukrainien.

Moscou a toujours nié toute implication dans le drame et continue de rejeter les affirmations selon lesquelles la Russie contrôlait les rebelles séparatistes dans l’est de l’Ukraine.

Le verdict « marque une journée importante pour la justice », a de son côté relevé le chef de l’OTAN, Jens Stoltenberg. « Il ne peut y avoir d’impunité pour de tels crimes », a-t-il déclaré sur Twitter.

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Le site de l’écrasement, 17 juillet 2014.

Washington a également salué le verdict, « étape importante » pour que justice soit rendue.

Mais l’affaire n’est pas close, a observé l’enquêteur de la police néerlandaise Andy Kraag. « Nous cherchons plus haut dans la chaîne de commandement », a-t-il déclaré.

Principales dates depuis l’écrasement du MH17 en Ukraine

Les grandes dates depuis l’écrasement du vol MH17 abattu en 2014 dans l’est de l’Ukraine, un drame pour lequel trois hommes ont été condamnés à la perpétuité par contumace par la justice néerlandaise jeudi.

Écrasement et premières accusations

Le 17 juillet 2014, un Boeing 777 de Malaysia Airlines se disloque en plein vol au-dessus d’un territoire contrôlé par les séparatistes prorusses dans l’est de l’Ukraine.

Les 298 personnes à bord de cet Amsterdam-Kuala Lumpur — en majorité des Néerlandais — périssent.

Le président ukrainien Petro Porochenko déclare ne pas exclure que l’avion ait été « abattu », évoquant un « acte terroriste ». Les séparatistes affirment que l’appareil a été abattu par un appareil ukrainien.

Le président russe Vladimir Poutine accuse l’Ukraine d’en « porter la responsabilité » après la reprise des opérations militaires dans l’Est.

« Ogive à l’extérieur de l’avion »

Le 9 septembre, dans un premier rapport, les enquêteurs internationaux, sous la direction du parquet néerlandais, affirment que le Boeing a été perforé en vol par des « projectiles à haute énergie », sans aller jusqu’à confirmer la théorie du missile.

Le 29 juillet 2015, la Russie met son veto au Conseil de sécurité pour la création d’un tribunal spécial pour juger les responsables.

Le 11 août, des éléments appartenant « probablement » à un missile BUK, dont disposent Moscou et Kyiv, sont identifiés.

Le 13 octobre, les enquêteurs affirment que l’avion « s’est écrasé à la suite d’une détonation d’une ogive à l’extérieur de l’avion contre le côté gauche du cockpit » […] qui « correspond au type de missiles installés sur les systèmes de missile sol-air BUK ».

Moscou maintient ses accusations contre les forces ukrainiennes.

« Un missile BUK »

Le 28 septembre 2016, les enquêteurs internationaux affirment avoir obtenu « des preuves irréfutables pour établir que […] le vol MH17 a été abattu par un missile BUK de série 9M38 ».

Ils ajoutent que le système de missile a été acheminé de Russie avant d’être lancé depuis le territoire dans l’est de l’Ukraine contrôlé par les séparatistes prorusses, sans préciser qui a tiré le missile.

Les thèses d’un accident, d’un acte terroriste à l’intérieur de l’appareil ou d’une attaque par un avion militaire sont définitivement écartées. Moscou estime que « l’enquête est biaisée et politiquement motivée ».

Acheminement du missile

Le 24 mai 2018, les enquêteurs concluent que le BUK-Telar (système de missile antiaérien de fabrication russe) provient d’une unité militaire russe, la 53e brigade antiaérienne basée à Koursk, en Russie. L’équipe a recréé la route empruntée par le convoi militaire à partir de photos et vidéos.

Deux personnes désignées sous les noms de code Orion et Delfin sont identifiées comme les principaux suspects sur la base d’enregistrements de conversations avant et après l’écrasement.

La Russie, ouvertement accusée par les Pays-Bas et l’Australie, affirme qu’aucun missile russe n’a franchi la frontière russo-ukrainienne.

Le 23 novembre, les proches de 65 victimes néerlandaises introduisent un recours contre la Russie devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Trois Russes et un Ukrainien poursuivis

Le 19 juin 2019, l’équipe internationale annonce avoir identifié quatre suspects, les Russes Sergueï Doubinski, Igor Guirkine et Oleg Poulatov ainsi que l’Ukrainien Leonid Khartchenko, tous hauts gradés des séparatistes prorusses de l’est de l’Ukraine.

La Russie dénonce des « accusations gratuites » visant à la « discréditer ».

Leur procès, étalé sur plus de deux ans, démarre le 9 mars 2020, sous haute sécurité aux Pays-Bas, près d’Amsterdam. Toujours en liberté, les accusés, qui clament leur innocence, refusent d’y assister.

Condamnations par contumace

En mars 2022, les Pays-Bas et l’Australie entament une procédure judiciaire contre la Russie devant l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), une agence spécialisée des Nations unies.

La région où l’avion s’est écrasé, déjà en proie à des combats en 2014, est devenue une terre d’affrontements clés dans l’invasion russe de l’Ukraine fin février.

Le 17 novembre, Igor Guirkine, Sergueï Doubinski et Leonid Khartchenko sont reconnus coupables de meurtre et d’avoir joué un rôle dans la destruction de l’avion par la justice néerlandaise et condamnés à la perpétuité par contumace. Oleg Poulatov est acquitté.