La première ministre britannique Liz Truss s’est finalement résignée jeudi à démissionner après seulement six semaines à Downing Street, les conservateurs britanniques étant désormais en quête d’un nouveau dirigeant, avec parmi les noms évoqués, celui de Boris Johnson.  

Elle se voyait comme l’héritière de la « dame de fer ». Elle a fini par plier.

Après seulement 44 jours au pouvoir, Liz Truss a quitté son poste jeudi, battant le record peu enviable du premier ministre britannique au plus court mandat de l’histoire, alors que l’on conjecture déjà sur sa succession.

Mme Truss a annoncé sa décision en matinée devant sa résidence du 10 Downing Street, où elle n’avait probablement pas encore fini de défaire ses boîtes.

« Vu la situation, je ne peux pas remplir le mandat pour lequel j’ai été élue par le Parti conservateur », a déclaré Mme Truss, dans une très courte prise de parole, ajoutant qu’un nouveau scrutin interne pour la remplacer aurait lieu au sein de la majorité « d’ici à la semaine prochaine ».

Le président du Comité 1922, Graham Brady, responsable de l’organisation chez les conservateurs, a ensuite précisé que le prochain premier ministre serait désigné d’ici au 28 octobre. Le scrutin verra s’affronter trois candidats maximum, dans un processus beaucoup plus court que l’élection qui avait porté Liz Truss au pouvoir à l’été.

Une descente aux enfers

Mme Truss avait pourtant insisté, pas plus tard que la veille, qu’elle resterait à la barre jusqu’aux prochaines élections, prévues au plus tard au début de 2025. Mais elle n’a pas su résister aux pressions internes, alors qu’un nombre croissant de députés conservateurs réclamaient son départ.

Il faut dire qu’elle n’en menait plus très large. Son minibudget destiné à contrer l’inflation, jugé irréaliste et mal ficelé, a provoqué fin septembre une telle tempête sur les marchés financiers (chute de la livre, flambée des taux d’emprunt, intervention de la Banque d’Angleterre et du Fonds monétaire international) qu’elle a dû rétropédaler sur l’ensemble de ses mesures fiscales, se retrouvant sans autorité et avec un programme économique vidé de sa substance.

La démission de sa ministre de l’Intérieur, Suella Braverman, mercredi soir, qui suivait le limogeage du chancelier de l’Échiquier (ministre des Finances) Kwasi Kwarteng, aussitôt remplacé par Jeremy Hunt, aura manifestement été le dernier clou dans son cercueil.

« C’est exceptionnel comme performance », ironise le journaliste Tristan de Bourbon, auteur du livre Boris Johnson – Un Européen contrarié, en évoquant le naufrage de la première ministre déchue. « Un espion envoyé par l’opposition pour détruire le Parti conservateur n’aurait pas fait mieux. »

Qui pour la remplacer ?

Au Royaume-Uni, la page Truss semble en tout cas tournée. Mme Truss n’avait pas encore fini d’annoncer sa démission que les médias conjecturaient déjà sur son possible successeur à la tête du parti et donc du pays.

Le nom de Rishi Sunak, ancien ministre des Finances sous Boris Johnson, circulait beaucoup jeudi. Mais le richissime ex-banquier est aussi celui qui a été battu par Mme Truss lors de la dernière course à la chefferie et plusieurs lui reprochent d’avoir trahi Boris Johnson, ouvrant la voie à sa démission en juillet.

« Ça fait beaucoup de choses contre lui », résume Tristan de Bourbon.

Parmi d’autres remplaçants potentiels figurent Penny Mordaunt, actuelle ministre chargée des relations avec le Parlement, ainsi que le ministre de la Défense Ben Wallace et le nouveau chancelier de l’Échiquier, Jeremy Hunt, quoique ces deux derniers avaient déclaré vouloir passer leur tour.

Il reste Boris Johnson, premier ministre déchu mais toujours charismatique. Son nom a de nouveau fait surface jeudi, The Times affirmant noir sur blanc qu’il se porterait candidat.

« Il tâte le terrain, mais il estime apparemment que c’est une question d’intérêt national », a notamment tweeté le rédacteur politique en chef du quotidien conservateur, Steven Swinford.

Scénario plausible ? D’autres se demandent au contraire pourquoi BoJo voudrait reprendre les commandes d’un parti en lambeaux, au moment où il embrasse une activité rémunératrice de conférencier partout dans le monde.

Un parti détruit

Avec l’annonce de Liz Truss, c’est la quatrième fois qu’un premier ministre conservateur démissionne depuis 2016, après David Cameron, Theresa May et Boris Johnson. De quoi s’interroger sur l’état de santé de la formation de droite, au pouvoir depuis 2010 et ultramajoritaire au Parlement britannique.

Diminués par le psychodrame du Brexit, les scandales répétés de Boris Johnson et les mesures fiscales catastrophiques de Liz Truss, les tories semblent en effet aux abois, voire au bout du rouleau.

« Il n’y a plus de pilote dans l’avion. La réputation du parti est détruite », observe tout simplement Tristan de Bourbon.

À ce point, serait-il mieux de déclencher des élections ? En théorie, sans doute. Mais un scrutin avant terme serait assurément désastreux pour les conservateurs, que les sondages placent actuellement à 30 points derrière le Parti travailliste, un recul quasi insurmontable, à court terme et probablement pas d’ici les élections prévues dans deux ans.

« Le successeur de Liz Truss sait qu’il va au carnage », conclut tout simplement Tristan de Bourbon.

Le plus court mandat de premier ministre du Royaume-Uni était jusqu’ici détenu par George Canning, mort au pouvoir en 1827, après 119 jours…

Avec l’Agence France-Presse

Les 45 jours tumultueux de Liz Truss

La première ministre britannique Liz Truss a annoncé jeudi sa démission, 24 heures après avoir assuré qu’elle n’en ferait rien. Mais le chaos politique était devenu tel qu’elle n’avait plus d’autre choix.

Elle avait été élue début septembre pour remplacer Boris Johnson, par les seuls membres du parti conservateur, avec 81 326 votes contre 60 399 à son adversaire Rishi Sunak.

Voici un résumé de la crise politique qui a consumé le pays depuis son arrivée au pouvoir le 6 septembre.

6 septembre

Liz Truss devient officiellement première ministre après avoir rencontré la reine Élisabeth II qui lui demande de former un nouveau gouvernement.

8 septembre

Face à la flambée du coût de l’énergie, Liz Truss annonce au Parlement un gel des prix pour les particuliers et les entreprises. Son annonce est totalement éclipsée par le décès d’Élisabeth II, la vie politique s’arrête pour dix jours de deuil national.

23 septembre

Le ministre des Finances Kwasi Kwarteng annonce un « mini-budget » pour relancer la croissance, à base de baisses d’impôts de dizaines de milliards de livres financées par de la dette.

Les marchés financiers s’affolent. Le 26, à la réouverture des marchés, la livre plonge à un plus bas historique.

28 septembre

Devant la panique financière, la Banque d’Angleterre annonce intervenir en urgence sur le marché obligataire face à un « risque important pour la stabilité financière du Royaume-Uni ».

29 septembre

L’institut de sondage YouGov annonce une avance de 33 points pour l’opposition travailliste, du jamais vu depuis la fin des années 1990, à deux ans des législatives.

3 octobre

Lors du congrès du parti conservateur, marqué par les dissensions et les tensions, Liz Truss et Kwasi Kwarteng sont contraints à une première volte-face : ils renoncent à supprimer la tranche d’imposition la plus élevée.

5 octobre

« J’ai compris, j’ai écouté », déclare Mme Truss au congrès du parti. « Croissance, croissance, croissance », répète-t-elle sans rassurer les sceptiques de son parti ni les marchés nerveux.

12 octobre

Mme Truss exclut devant les députés toute réduction des dépenses publiques tout en promettant de maintenir les baisses d’impôts, ajoutant aux doutes sur sa politique.

13 octobre

Des conservateurs évoquent une liste de noms qui circule pour la remplacer à Downing Street.

Depuis Washington où il assiste aux réunions annuelles du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, Kwasi Kwarteng se dit sûr qu’ils seront tous les deux encore en poste dans un mois.

14 octobre

M. Kwarteng, rentré en urgence à Londres, est limogé et remplacé par Jeremy Hunt, ancien candidat dans la course pour Downing Street.

Liz Truss convoque une conférence de presse où elle répète mécaniquement qu’elle veut accomplir sa mission, prend quatre questions et tourne les talons au bout de huit minutes.

Elle y annonce un nouveau revirement, renonçant à maintenir à 19 % l’impôt sur les sociétés qui augmentera à 25 % comme prévu par le gouvernement précédent.

17 octobre

Jeremy Hunt, quatrième ministre des Finances depuis le début de l’année, annonce l’annulation du programme économique de Liz Truss dans sa quasi-totalité.

Elle se fait représenter au Parlement pour répondre aux questions de l’opposition sur cette politique. « Non elle ne se cache pas sous un bureau » déclare la ministre qui la représente, Penny Mordaunt, alors que certains députés crient « démission ».

Mme Truss reconnaît des erreurs dans une interview tard le soir à la BBC et se dit « désolée », mais exclut de démissionner, évoquant « l’intérêt national ».

19 octobre

« Je suis une battante, je ne démissionne pas », déclare Liz Truss huée lors de la séance hebdomadaire de questions au Parlement.

La ministre de l’Intérieur Suella Braverman démissionne. Elle explique avoir envoyé de sa boîte courriel privée, à un collègue du Parlement, un document officiel sur la politique migratoire. « J’ai fait une erreur. Je l’accepte, je démissionne », écrit-elle dans sa lettre de départ, message clair contre Mme Truss qui, elle, reste en poste.

En soirée, chaos au Parlement à propos d’un vote mal expliqué sur la fracturation hydraulique dont le gouvernement voulait faire un test de loyauté.

20 octobre

Dans une très brève annonce devant Downing Street, Mme Truss annonce qu’elle démissionne, ne pouvant pas « mener le mandat » pour lequel elle a été élue.

Agence France-Presse

Les possibles remplaçants de Liz Truss

La démission jeudi de la première ministre britannique Liz Truss va donner lieu à un scrutin interne accéléré au parti conservateur, et l’ancien premier ministre Boris Johnson envisagerait son retour, selon plusieurs quotidiens britanniques.

Ce scrutin opposera au maximum trois candidats, et le nouveau premier ministre sera désigné d’ici au 28 octobre, a annoncé jeudi le président du comité 1922, en charge de l’organisation du parti conservateur, Graham Brady.

Voici les possibles candidats :

Boris Johnson

Il devrait se présenter, mettant en avant « l’intérêt national », affirme jeudi le quotidien The Times, ce qui a immédiatement suscité la réaction hostile de certains élus. Plusieurs autres quotidiens conservateurs indiquent aussi qu’il y réfléchit. « BoJo » avait démissionné début juillet après une vague de départs dans son gouvernement, lassé des scandales et de ses mensonges. Lors de sa démission, il avait regretté devoir abandonner « le meilleur job au monde », persuadé qu’il avait encore une tâche « colossale » à accomplir.

Après avoir assuré l’intérim durant l’été, l’ancien héros du Brexit, qui avait offert à son parti en 2019 une majorité historique, avait quitté Downing Street début septembre.

Selon The Times, Johnson, 58 ans, serait convaincu qu’il peut remettre le parti conservateur sur les rails.

Avant même la démission jeudi de Mme Truss, la députée et ancienne ministre Nadine Dorries, très proche de M. Johnson tweetait déjà son soutien à l’ancien premier ministre.

Penny Mordaunt

Elle était candidate contre Liz Truss pour succéder à Boris Johnson cet été, et dans les premiers tours de scrutin avait suscité un réel engouement.

Charismatique, cette ancienne ministre de la Défense de 49 ans s’est illustrée au Parlement lundi quand elle a représenté Liz Truss pour répondre à l’opposition. Elle a défendu le changement de cap économique, maniant fermeté et humour, expliquant que la première ministre « ne se cache pas sous un bureau ».

Elle a déclaré jeudi qu’elle « garderait son calme et continuerait » et a encouragé les autres à faire de même après la démission de Liz Truss.

Rishi Sunak

Battu par Liz Truss lors de la phase finale du processus de désignation du chef du parti conservateur cet été, l’ancien ministre des Finances était le candidat préféré des députés conservateurs.

Le richissime ex-banquier de 42 ans a pour lui le fait d’incarner la figure rassurante de l’orthodoxie budgétaire.

Pendant la campagne, il n’avait eu de cesse de répéter que les baisses d’impôts non financées risquaient d’aggraver une inflation à un niveau record depuis 40 ans, et de saper la confiance des marchés.

Mais il a un handicap de taille : les fidèles de Boris Johnson voient en lui un traître dont la démission avait précipité la chute de Johnson cet été, et ne veulent pas en entendre parler.

Suella Braverman

Elle était aussi candidate à Downing Street contre Mme Truss. Ultra conservatrice de 42 ans, elle avait été nommée ministre de l’Intérieur par Mme Truss, en charge notamment du dossier des migrants clandestins. Elle avait démissionné mercredi soir, expliquant qu’elle avait fait l’erreur d’utiliser son courriel personnel pour envoyer des documents officiels. Elle avait étrillé au passage la politique « tumultueuse » du gouvernement Truss et ses renoncements en cascade, y compris dans le dossier de l’immigration illégale.

Jeremy Hunt

Le nouveau ministre des Finances nommé le 14 octobre et dont les déclarations ont stabilisé les marchés serait sur le papier un bon candidat. Il avait été deux fois candidat malheureux à Downing Street, a été aussi ministre des Affaires étrangères et de la Santé, mais a affirmé qu’il ne le serait pas une troisième fois. « Le désir d’être leader a été cliniquement supprimé en moi » a-t-il déclaré dimanche dernier sur la BBC en évoquant ses deux échecs.

Ben Wallace

Figurant parmi les favoris dans la dernière campagne pour la tête du parti conservateur, le ministre de la Défense, qui avait choisi de ne pas se lancer pour se consacrer à la sécurité du Royaume-Uni, a vu son nom ressurgir ces derniers jours comme une possible figure d’unité pour le parti. Ben Wallace, 52 ans, a toutefois semblé écarter ce scénario, en assurant mardi dans le Times qu’il adorait son travail à la Défense et entendait le poursuivre.

Agence France-Presse