(Zaporijjia) Dans les ruines d’un immeuble de cinq étages dont il ne reste que le rez-de-chaussée, au cœur de la ville ukrainienne de Zaporijjia, une main inerte manucurée aux ongles rouge vif apparaît subitement d’entre les gravats.

Jeudi, sept missiles ont frappé la ville, dont trois son hyper-centre, peu après 5 h du matin. « Les Russes continuent de frapper délibérément des civils pour semer la peur », a fustigé sur Twitter le ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kouleba.

La jeune femme vivait dans un immeuble donnant sur la principale artère de cette ville industrieuse, la plus grande du sud-ouest ukrainien à ne pas être sous contrôle russe. Une quarantaine de kilomètres sépare Zaporijjia des combats d’artillerie du front.

La victime, délicatement retirée des décombres par les secouristes, devait être au lit quand son immeuble a volé en éclats. La mort l’a cueillie en sous-vêtements, les yeux ouverts.

Une heure de plus tard, après que les secouristes ont déblayé des tonnes de gravats, que des pompiers ont déversé des hectolitres d’eau sur les ruines dont une épaisse fumée s’échappait encore sept heures après l’impact, un autre corps a été retrouvé.

Impossible toutefois d’imaginer qui cela pouvait être, un homme ou une femme, jeune ou vieux, après des heures passées dans le brasier, ses quatre membres ayant en outre été arrachés. La dépouille est rapidement placée dans un sac mortuaire noire, puis évacuée.

Officiellement, une personne a été tuée et sept blessées jeudi matin à Zaporijjia. Mais ce bilan n’est que très partiel.

Dans l’immeuble de la rue principale, l’AFP a vu deux cadavres. Selon une secouriste, il pourrait y avoir « six à dix » victimes. Un troisième corps a par ailleurs été retrouvé sur un autre site, selon cette secouriste, qui refuse de donner son nom à l’AFP.

La cheffe de la Croix-rouge de Zaporijjia, Oksana Beketova, fait état à l’AFP d’une dépouille par ailleurs retrouvée dans un centre de lavage automobile, et d’une femme tuée dans sa maison.

« Nous demandons continuellement aux gens d’évacuer. (Mais) à deux arrêts de bus d’ici, il y a encore des gens qui marchent dans un parc », regrette Mme Beketova, espérant qu’après ces lourds bombardements, « les gens saisiront leur chance de se sauver ».

« Haine pure »

« Beaucoup de gens partiront dans d’autres villes : les familles avec enfants, les personnes âgées », pronostique de son côté Igor Osolodko, un musicien de 25 ans, venu avec des dizaines d’autres volontaires aider à évacuer brique par brique les gravats d’un immeuble complètement éventré.

« Pour la première fois de ma vie, je ressens de la haine pure », poursuit-il. « C’est absurde, c’est irréel. Nous devons juste compter sur notre armée et vivre avec cette terreur jusqu’à ce tout soit terminé, jusqu’à notre victoire ».

La ville n’en est pas à sa première catastrophe. Vendredi dernier, 31 personnes ont péri en périphérie de Zaporijjia sur un parking, lorsqu’un missile s’est écrasé sur elles. Hormis un policier tué, les 30 autres cherchaient à rentrer dans la partie de l’Ukraine sous contrôle russe.

Kyiv et Moscou se sont accusés mutuellement de ce bombardement.

Le président russe Vladimir Poutine a finalisé mercredi l’annexion revendiquée de quatre territoires ukrainiens (Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijjia) mais le Kremlin n’a pas encore confirmé quelles zones géographiques de ces régions seraient annexées.

Alors que l’armée ukrainienne a affirmé jeudi avoir repris 400 kilomètres carrés à la Russie dans la région de Kherson, personne ne comprend encore si la ville de Zaporijjia fait partie des territoires que Moscou considère, ou non, comme siens, même si la centrale nucléaire est elle revendiquée par Moscou.

Dimitri Sirchenko, venu lui aussi aider à dégager les ruines d’un bâtiment, ne comprend pas pourquoi le bombardement a frappé en pleine ville.

« J’aurais pu l’expliquer d’un point de vue logique s’ils avaient frappé des bases militaires, ou autre chose. Mais ils ont frappé un centre-ville, où il n’y a pas de militaires. Où il n’y a pas d’infrastructures. Ils ont juste frappé des bâtiments civils », s’indigne-t-il.

Pour lui, pourtant, pas question de s’en aller. « Pour aller où ? questionne-t-il. Il n’y a aucun endroit de sûr » en Ukraine.