(Düsseldorf) L’Europe s’efforce depuis le début de la guerre en Ukraine de faire des réserves d’énergie pour pallier la diminution des importations de gaz naturel et de pétrole russes. À Düsseldorf, on se serre la ceinture énergétique dès maintenant pour éviter le pire l’hiver prochain, mais surtout, pour tous les autres hivers à venir.

Difficile de se frayer un chemin dans la Rheinstrasse en ce soir de fin de septembre. Devant la mythique brasserie Uerige, où les verres d’Altbier se servent par plateau entier, une fanfare réchauffe l’immense foule attroupée de chaque côté de la rue.

La soirée est fraîche, mais les cœurs sont à la fête. Rien ne laisse croire que les gens sont particulièrement préoccupés par l’hiver froid, très froid, annoncé en raison de la fin des livraisons de gaz russe en Allemagne.

« Évidemment, les gens en parlent un petit peu, mais ce n’est pas un thème [qui préoccupe], pas encore », relate des conversations avec ses clients Géraldine Marionneau, propriétaire d’un kiosque de spécialités françaises dans le marché non loin.

C’est d’ailleurs exactement ce qu’espère la Ville de Düsseldorf et elle prend les grands moyens pour s’assurer que les citoyens soient épargnés de restrictions énergétiques dans les prochains mois. « Notre seul but, c’est d’éviter une pénurie d’énergie », explique Christan Zaum, chef de la cellule de crise « énergie » et commissaire à la Ville.

Pour ce faire, Düsseldorf chauffera deux mois de moins qu’à l’habitude les édifices sous sa direction, de novembre à mars, et réduira d’un degré Celsius la température dans tous ses bureaux. L’administration locale a également fermé certains bâtiments en prévision de l’hiver. Une économie totale d’environ 5 % à 6 % sur sa consommation globale.

La Ville s’attaquera même à son quasi sacré réseau de 14 000 lampadaires à gaz, l’un des derniers en Allemagne, dont 8000 seront maintenant fermés entre 1 h et 5 h.

« [Ce réseau de lampadaires] fait partie de notre ADN. Il est au cœur d’un énorme débat politique. Il y a beaucoup de gens qui veulent qu’on les conserve. Mais, bien évidemment, la situation actuelle nous mène à repenser tout le système », avoue M. Zaum.

Des changements structurels nécessaires

D’après les plus récentes estimations sur le stockage énergétique allemand, les réserves du pays sont déjà pleines à plus de 85 %.

Mais Christian Zaum croit en fait que l’hiver suivant sera bien pire. Il faudra nécessairement trouver d’autres façons de se chauffer puisque le gaz sera soit inaccessible, soit trop cher. Et dans le cas de l’Allemagne, il en faudra beaucoup.

Avant la guerre en Ukraine, près d’un tiers de la consommation énergétique allemande provenait du gaz naturel, dont plus de 55 % étaient fournis par la Russie. La grande majorité des systèmes de chauffage en Allemagne fonctionne au gaz.

Dans tous les cas, le plan d’urgence de la Ville en cas de recours à des restrictions énergétiques est clair. Ce sont les grandes entreprises qui seront les premières touchées. D’abord, parce que le système de distribution facilite une coupure directe alors que les PME sont connectées à des « îles d’énergie » qui alimentent à la fois magasins et résidences privées. Mais surtout, parce que personne en Allemagne ne veut mettre une pression directe sur la population, un apprentissage pandémique.

« Chose positive dans tout ce débat, c’est que l’aspect de durabilité a pris la place des arguments politiques. On ne peut plus tricher parce qu’on doit réduire notre consommation d’énergie pour éviter une crise et, donc, les décisions que nous devrons prendre devront être de vraies décisions », affirme Christian Zaum.

De son côté, Géraldine Marionneau sait que, coupure ou non, sa facture d’électricité augmentera d’au moins 30 % au cours des prochaines semaines.

Un autre problème auquel devront faire face les gouvernements, allemands comme européens, dans les prochains mois.

Sobriété ou restrictions énergétiques ?

« La meilleure approche pour prévenir ces restrictions énergétiques, c’est de se préparer à faire preuve de sobriété énergétique parce que ça veut dire qu’on pourra faire beaucoup de choses avec beaucoup moins d’énergie, explique Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie. La meilleure manière de ne pas souffrir de ces restrictions, c’est de diminuer ses besoins. » Chose certaine, le terme « sobriété énergétique » ne date pas d’hier. Il est même utilisé dans les documents officiels au Canada et au Québec, alors que le contexte n’est pas aux restrictions ou au manque d’approvisionnement.

D’autres mesures en vigueur en Allemagne

– Les publicités sur écrans lumineux doivent maintenant être fermées après 22 h, sauf quelques exceptions.

– Les monuments historiques et les bâtiments publics habituellement éclairés pour des raisons purement esthétiques doivent maintenant être laissés dans le noir. C’est le cas de bon nombre de lieux touristiques comme la colonne de la Victoire à Berlin ou la cathédrale de Cologne.

– Dans les bâtiments publics, le chauffage ne doit pas excéder les 19 degrés Celsius, excepté dans les hôpitaux, les garderies et les écoles.

– Terminée l’eau chaude dans les lavabos de la plupart des édifices publics. Certaines villes sont même allées plus loin en fermant l’eau chaude dans les centres sportifs et les piscines publiques, qui ne sont d’ailleurs pas chauffées non plus.