(Kyiv) Quelques jours après l’allocution du président Vladimir Poutine annonçant la mobilisation partielle de la population russe – et la tenue de référendums d’annexion dans quatre régions ukrainiennes –, les habitants de Kyiv accueillent la nouvelle avec flegme.

Près du monastère Saint-Michel-au-Dôme-d’Or, au centre-ville, des familles se prennent en photo et circulent entre les épaves de missiles et de chars d’assaut russes détruits par l’artillerie ukrainienne. Ils sont exposés, tels des trophées, par l’armée ukrainienne depuis le mois de juin.

Sans ces restes d’armements carbonisés, quelques points de contrôle de l’armée et les sirènes d’alerte anti-bombardement auxquels les habitants ne prêtent plus attention, plus grand-chose ne sépare Kyiv d’une autre grande ville européenne en ce vendredi après-midi pluvieux.

PHOTO HUGO LAUTISSIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Kyiv a repris des allures normales.

Depuis le retrait de l’armée russe au mois d’avril dernier, la capitale respire. Les cafés et les restaurants sont pleins, les rues s’animent et l’espoir semble à nouveau permis. « Ça donne une impression bizarre de voir ça ici », réagit Max, jeune développeur informatique de 27 ans originaire d’Odessa, en touchant du bout des doigts le canon inoffensif d’un char d’assaut. « Les annonces de mobilisation partielle ne m’alarment pas plus que ça. Ils vont envoyer des gens qui ne savent pas se battre, qui ne sont pas formés, alors que nos soldats sont sur le front depuis plus de six mois. »

Son ami Ivan, 23 ans, étudiant à Kyiv, abonde : « C’est la preuve que Poutine est en train de paniquer. Il n’a plus de soldats disponibles, il va nous envoyer des prisonniers russes à la place. »

« C’est peut-être le bon moment pour accentuer la contre-offensive ? », s’interroge Max.

« Il prouve qu’il est en train de perdre »

Quelques jours plus tôt, le président russe a annoncé la mobilisation d’au moins 300 000 réservistes et la tenue de référendums d’annexion dans quatre régions occupées entièrement ou en partie par Moscou : Donetsk et Louhansk, dans l’est du pays, Kherson et Zaporijia, dans le Sud. Un scrutin qualifié de simulacre par l’Ukraine et ses alliés, et de « parodie de vote » par l’OTAN.

Depuis le début du mois de septembre, la contre-offensive ukrainienne a permis à l’armée de reconquérir plusieurs milliers de kilomètres de territoire, dans l’est et le sud du pays, notamment la ville d’Izioum, occupée depuis le 1er avril.

Certains voient dans les annonces de Vladimir Poutine un moyen de camoufler ses récentes débâcles militaires.

Volodymyr Vyshkvarok, 30 ans, est de ceux-là. « Rien de tout cela n’est effrayant à mon sens. Mes amis partagent le même avis, y compris parmi ceux qui se battent au front. L’un d’entre eux m’a dit : “Qu’il nous envoie ces hommes, nous, on les enverra en enfer.” C’est triste, parce que la guerre va continuer et qu’il y aura encore plus de morts des deux côtés. Mais j’ai l’impression qu’à chaque annonce, [Poutine] prouve qu’il est en train de perdre cette guerre », veut croire ce jeune homme qui travaille à distance pour une entreprise informatique britannique.

Dès la fin du mois de février, il s’est engagé comme volontaire pour soutenir l’effort national. Il récolte dons et équipements à destination des soldats ukrainiens sur le front. Originaire de la ville de Louhansk, zone soumise au référendum ce week-end et où vit encore sa famille, il dit ne pas se faire d’illusions. « Ma famille vit sous occupation depuis 2014, donc rien ne va changer pour eux. J’espère que les gens des autres régions réalisent clairement que toute cette mascarade est fausse, criminelle et inacceptable. Ces votes ne comptent pas. Tout le monde comprend que cela se fait sous la menace et de manière illégale. Aucun pays normal ne reconnaîtra le vote. »

Oleksiy Ovchynnykov est originaire de Sloviansk, dans le Donbass. La mort dans l’âme, il a quitté provisoirement sa ville natale pour la banlieue de la capitale, au début du mois de juin, quand les bombardements se sont rapprochés. Dès les premiers jours de la guerre, il avait envoyé son fils de 16 ans en Slovaquie, tandis que sa femme trouvait refuge en Lituanie.

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Des chars russes détruits sont exposés, tels des trophées, par l’armée ukrainienne à Kyiv depuis le mois de juin.

Depuis cet été, ils sont à nouveau réunis. Ce professeur de danse, qui dirigeait plusieurs studios d’envergure dans le Donbass jusqu’au 24 février, s’apprête à ouvrir deux nouveaux studios à Irpin et à Kyiv. Les annonces de Vladimir Poutine n’ont pas entamé sa détermination. « Ce n’est sûrement pas le meilleur moment pour lancer un studio, mais on n’a pas le choix. On devrait s’asseoir et ne rien faire ? », fait mine de s’interroger le quarantenaire.

Idem pour la menace nucléaire, que le président russe a une nouvelle fois agitée dans ses dernières déclarations. « Tout est possible avec lui. Il y a huit ans, quand tout a commencé, on ne pensait pas que la Russie serait capable de bombarder Kyiv, ni qu’il y aurait encore des villes martyres en Europe. Puis, il y a eu Boutcha et Marioupol. »

Par la fenêtre du café où il a donné rendez-vous, l’attention du danseur se porte sur la rue piétonne où une bande de dix adolescents entreprennent une chorégraphie en se filmant avec un téléphone : « Au fond, les gens veulent juste vivre normalement, rien de plus », glisse Oleksiy en souriant.