L’armée russe a connu la déroute en Ukraine au cours des derniers jours. Une situation couplée à l’émergence de critiques émanant de l’intérieur de la Russie à l’endroit du président Vladimir Poutine. La Russie réplique en annonçant des « frappes massives » en Ukraine. Qu’en est-il réellement ?

Les Russes débordés dans l’est

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Sources : Institute for the Study of War, American Enterprise Institute’s Critical Threats Project et The New York Times

Les Russes s’attendaient à une contre-offensive des Ukrainiens, annoncée par le président Volodymyr Zelensky, dans le sud du pays. Mais elle a été couplée à une furieuse attaque dans le nord-est ces derniers jours. Les Ukrainiens auraient repris 6000 km⁠2 de terrain, a affirmé le président Zelensky (8800 km⁠2 selon une carte du New York Times). « Ça bouge dans le sud, mais pas à la vitesse de ce qui est arrivé à l’est, indique Dominique Arel, titulaire de la Chaire de recherche en études ukrainiennes à l’Université d’Ottawa. Personne ne s’attendait à cette offensive. Ç’a été foudroyant. La ruse des Ukrainiens a été d’annoncer uniquement une offensive dans le sud. Cela montre, comme un analyste l’a dit, que les Russes, en matière de renseignement, ne sont pas capables de pénétrer le cercle restreint des décideurs ukrainiens. En 2014 [invasion de la Crimée], ils avaient des espions partout. »

Faut-il craindre des frappes massives ?

PHOTO JUAN BARRETO, AGENCE FRANCE-PRESSE

Vue d’une église détruite à Kramatorsk, dans la région de Donetsk, mardi

Mardi, Moscou a promis de répliquer à l’offensive ukrainienne par des « frappes massives » sur tous les fronts. « Avec ce qui s’est passé en fin de semaine, les Russes n’ont plus la capacité d’attaquer, poursuit Dominique Arel. Ils ont encore la capacité de lancer des missiles… mais une grande offensive ? Non. Selon la version du ministère de la Défense russe, les troupes se sont regroupées. Mais en fait, elles se sont complètement effondrées. Elles ont fui en laissant beaucoup d’équipements derrière. L’objectif de Poutine de conquérir tout le Donbass ne se fera pas. Du moins, pas cet automne. »

Viser les civils ou la politique du pire

PHOTO GLEB GARANICH, REUTERS

Des résidants ukrainiens recevant mardi de l’aide humanitaire à Balakleïa, récemment repris des mains des forces russes

Que reste-t-il aux Russes comme options ? La crainte est de les voir s’attaquer aux habitations et infrastructures civiles. Une stratégie déjà adoptée dans le passé, notamment en Tchétchénie et en Syrie. « S’attaquer aux civils et aux infrastructures civiles (réseau électrique, réservoirs d’eau, etc.) est la politique du pire, poursuit M. Arel. Les Russes l’ont fait à Kharkiv en fin de semaine en attaquant les centrales électriques. Vont-ils commencer à le faire systématiquement dans une stratégie du désespoir ? On peut s’attendre au pire. Mais ont-ils la capacité de le faire ? Ils ont de moins en moins de missiles de haute précision. » Par ailleurs, les troupes ukrainiennes possèdent des missiles américains Himars d’une « précision ahurissante », poursuit le chercheur.

Poutine critiqué…

PHOTO GAVRIIL GRIGOROV, AGENCE FRANCE-PRESSE

Vladimir Poutine, président de la Russie

Pendant ce temps, en Russie, des protestations s’élèvent. À gauche, comme à droite du président Poutine. À Saint-Pétersbourg, huit élus locaux ont demandé au Parlement russe (Douma) de destituer Poutine pour haute trahison. À droite du dirigeant, des partisans nationalistes, d’une ligne encore plus dure à l’égard de l’Ukraine, piaffent d’impatience et trouvent le président trop mou. Les « faucons » avancent des épithètes telles que : troublant, trahison, déprimant. Mais selon Maria Popova, professeure associée de science politique à l’Université McGill, le président russe n’est pas menacé.

… par des voix qui ne sont pas nouvelles

« Poutine est mis au défi par des gens qui souhaitent une escalade de la guerre. Mais ce n’est pas vraiment possible ; la Russie a pratiquement tout lancé dans cette guerre », estime Mme Popova. D’autres gens, estimant dès le départ que cette guerre était une mauvaise idée, réclament la paix. Aucune de ces voix n’est assez forte et aucune n’est vraiment nouvelle. « Elles sont à petite échelle. Certains croient voir une grande avancée, mais ce n’est pas si surprenant. On sait qu’il existe en Russie une opposition engagée, mais très petite. Ces voix ont toujours été opposées à Poutine. Ça ne veut pas dire que l’ensemble de la population adhère à ces critiques. »

La prison ? Arbitraire !

PHOTO TRIBUNAL DE LA VILLE DE MOSCOU, VIA ARCHIVES REUTERS

L’ex-journaliste russe Ivan Safronov au banc des accusés lors d’une audience au tribunal à Moscou, le 5 septembre

Critiquer le régime en place est très audacieux en Russie. Ainsi, le 5 septembre, l’ex-journaliste Ivan Safronov, critique du régime, a été condamné à 22 ans de prison. « Le régime en place ne tolère pas la critique. Mais il est arbitraire », dit Mme Popova. Certaines personnes sont jetées en prison pour longtemps… ou pas. Il y a des cas où rien n’arrive. « Cela fait partie d’une stratégie qui place les gens dans une situation de constante incertitude, poursuit la professeure. Et c’est utile pour le régime de garder des gens en dehors des prisons. Ils peuvent ainsi se définir comme tolérants. »

Kyiv progresse dans le Donbass

La contre-offensive ukrainienne dans le Donbass s’est poursuivie mardi. Des gardes-frontières ukrainiens ont déclaré que l’armée avait pris le contrôle de la ville de Vovchansk, à trois kilomètres de la frontière avec la Russie. Cette ville avait été prise par les forces russes le 24 février, premier jour de la guerre. Dans le sud, les troupes russes abandonnaient aussi la ville de Melitopol, occupée depuis le mois de mars, et se repliaient vers la Crimée.

Avec le New York Times, l’Agence France-Presse et TV5 Monde

En savoir plus
  • 8
    Les frappes massives russes annoncées par Moscou ont pour le moment fait 8 morts et 19 blessés en 24 heures dans les régions de Kharkiv (nord-est) et Donetsk (est), selon la présidence ukrainienne.
    Source : Agence France-Presse