Elle est chrétienne, conservatrice, associée au mouvement néofasciste. Et elle sera peut-être la prochaine première ministre de l’Italie. Mais qui est donc Giorgia Meloni ? Nos questions. Nos réponses.

Attendez. Des élections en Italie ? Encore ?

C’est vrai que là-bas, c’est presque un sport national. Ce seront les 70es élections depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ! La très large coalition de six partis menée par Mario Draghi, alias Super Mario, n’aura duré que 18 mois. L’ancien président de la Banque centrale européenne, très crédible sur le plan international, avait été désigné pour remettre le pays sur les rails après la pandémie. Sa démission récente force la tenue d’élections anticipées le 25 septembre prochain.

À quels résultats s’attendre ?

Si les sondages actuels se confirment, l’Italie pourrait être dirigée par une coalition de droite conservatrice qui inclurait la Ligue de Matteo Salvini, Forza Italia, de l’increvable Silvio Berlusconi, et Fratelli d’Italia (Frères d’Italie), parti dirigé par Giorgia Meloni. Cette dernière se voit attribuer 23 % des voix. C’est considérable dans un paysage politique aussi fragmenté. Ce score pourrait la consacrer d’office présidente du Conseil des ministres (première ministre). Elle serait la toute première femme à obtenir ce poste en Italie.

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Matteo Salvini, dirigeant du parti italien d’extrême droite de la Ligue, Giorgia Meloni et l’ancien premier ministre et leader du parti Forza Italia Silvio Berlusconi

Mais d’où sort donc cette madame Meloni ?

Mme Meloni, 45 ans, Romaine d’origine modeste, a commencé sa carrière politique à 15 ans, au sein du Mouvement social italien (MSI), parti néofasciste fondé par d’anciens compères de Benito Mussolini. Elle est cheffe de Fratelli d’Italia depuis 2014 et a été ministre de la Jeunesse dans le gouvernement de Silvio Berlusconi (2008-2011). Contrairement à la plupart des autres grands partis italiens, elle revendique l’honneur de ne pas avoir rallié la coalition extraordinaire de Mario Draghi. Un refus du compromis qui joue aujourd’hui en sa faveur.

Vous ai-je entendu parler de fascisme ? Oh le vilain mot !

Ce sont ses racines politiques et elle les assume. Mais elle ne les revendique plus, préférant s’adresser à un électorat de droite élargi. Ce qui ne l’empêche pas de multiplier les clins d’œil au mouvement, que ce soit en adoptant la flamme tricolore du MSI ou en soutenant la carrière politique d’un petit-fils de Mussolini. « Elle garde une forme d’empathie avec cette expérience politique, souligne l’historien Marc Lazar, spécialiste de la politique italienne à Sciences Po Paris. Autant elle fait preuve d’une grande prudence et d’une volonté d’occultation du fascisme, autant elle est entourée d’éléments profascistes, à la direction de son parti comme à la base de son électorat. »

Peut-on la qualifier d’extrême droite ?

Extrême droite ou droite radicale ? Grande question, gros débat. Mme Meloni se présente avant tout comme une chrétienne avec des valeurs traditionnelles. Elle est libérale sur le plan économique mais conservatrice, voire réactionnaire, sur le plan des mœurs (anti-mariage homosexuel, anti-LGBT, pour la famille nucléaire). Sur le plan politique, elle est anti-islam, anti-immigration et résolument souverainiste : elle n’est pas en guerre contre l’Union européenne (UE), mais croit que le droit national devrait primer le droit européen. Bref, elle est un peu l’équivalent italien du Français Éric Zemmour ou du Hongrois Viktor Orbán. Ce qui ne l’empêche pas d’être proaméricaine, proatlantiste et de condamner fermement l’invasion de l’Ukraine.

Comment expliquer que 23 % des Italiens veuillent voter pour elle ?

Comme Donald Trump aux États-Unis, Giorgia Meloni incarne le ressentiment d’un peuple en mal de repères. « Pour ses électeurs, elle incarne la colère et l’affirmation de l’identité nationale, dans un pays qui est en plein déclin démographique, économique et qui est aux prises avec toutes sortes de transformations dans la société, lance Marc Lazar. Ses positions plaisent peut-être aussi à une minorité nostalgique qui voit en elle un résidu de fascisme. » Enfin, elle peut apparaître comme quelqu’un de nouveau. « Beaucoup se disent : pourquoi ne pas expérimenter Fratelli d’Italia puisqu’on a expérimenté toutes les autres combinaisons possibles ? », ajoute M. Lazar.

À quel gouvernement s’attendre si elle prend le pouvoir ?

Il y aura beaucoup de discours enflammés, mais sa marge de manœuvre sera limitée. Car sa politique de droite radicale pourrait être recadrée par Bruxelles. Si Giorgia Meloni commençait à remettre en cause les réformes mises en place par Mario Draghi et qui correspondent aux exigences de l’Union européenne (réformes de l’administration publique, investissement dans l’éducation, numérisation du pays, investissement dans les infrastructures, etc.), l’UE pourrait menacer de sabrer les 200 milliards d’euros promis à l’Italie, sous condition.

Bon. Admettons qu’elle gagne. Qu’est-ce qui nous fait croire que cette alliance à droite durera ?

Réponse courte : rien. D’ailleurs, il y a déjà des tensions. Selon de récentes fuites dans la presse italienne, ses futurs « partenaires », Matteo Salvini et Silvio Berlusconi, essaieraient déjà de trouver des astuces pour l’empêcher d’être à la tête du pays, bien qu’elle soit cruciale pour la coalition. Mme Meloni a senti venir le coup : elle a rappelé tout le monde à l’ordre la semaine dernière en menaçant de saboter l’alliance si ce n’est pas elle qui mène le jeu. Ça promet !