(Londres) Usé par les scandales, affaibli par une série de défections sans précédent dans son gouvernement, le premier ministre britannique Boris Johnson a annoncé jeudi sa démission, tout en précisant qu’il resterait à Downing Street le temps que son successeur soit nommé. Quelques heures plus tard, les premiers candidats à sa succession ont annoncé leurs intentions.

Ce que vous devez savoir

  • Le champion des pro-Brexit Boris Johnson est élu à la tête du parti conservateur le 23 juillet 2019 ;
  • Ultra-populaire, il remporte en décembre 2019 une majorité historique à la Chambre des communes pour les conservateurs ;
  • En avril 2021, le premier ministre est critiqué depuis le début de la pandémie pour sa gestion de la crise ;
  • Le parti du premier ministre gagne tout de même du terrain face aux travaillistes lors d’élections locales le 6 mai 2021 ;
  • Le scandale du « partygate », ses explications variables, l’enquête de police et l’enquête administrative dénonçant la culture laxiste à Downing Street ont eu raison de la confiance du pays ;
  • Boris Johnson survit le 6 juin dernier à un vote de défiance des députés de son Parti conservateur. Plus de 40 % des députés indiquent ne plus avoir confiance dans le premier ministre ;
  • La cote de popularité de Boris Johnson était passée de 66 % d’opinions favorables en avril 2020 à 23 % fin juin ;
  • Entre 69 % et 72 % des Britanniques souhaitaient sa démission, selon deux sondages cette semaine ;
  • Un dernier scandale, celui du « whip » en chef adjoint, accusé d’attouchements et dont M. Johnson connaissait le passé, a été le dernier clou à son cercueil ;
  • Le 7 juillet à 10 h (9 h GMT, 5 h HAE), près de 60 membres du gouvernement ont démissionné.
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« C’est clairement la volonté du parti conservateur qu’il y ait un nouveau leader et donc un nouveau premier ministre », a-t-il déclaré dans une courte allocution devant Downing Street, tout en estimant « dingue » que son parti ait voulu se débarrasser de lui.

« J’ai nommé un nouveau gouvernement qui sera en poste, tout comme moi, jusqu’à ce que le nouveau dirigeant soit en place », a-t-il ajouté, sans un mot pour la crise ouverte provoquée par la soixantaine de démissions dans son gouvernement depuis mardi, après un énième scandale.

L’idée de cet intérim qui pourrait durer jusqu’en octobre a été immédiatement dénoncée par l’opposition et certains poids lourds conservateurs.

Une démission attendue

« Nous n’avons pas besoin d’un changement à la tête des Tories. Nous avons besoin d’un vrai changement de gouvernement », avait peu avant fait valoir le chef de l’opposition Keir Starmer.  

Une majorité des Britanniques (56 %) veulent aussi que l’intérim soit assurée par quelqu’un d’autre, selon un sondage YouGov. 77 % pensent que Boris Johnson a eu raison de démissionner.

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À l’image des sentiments que suscite Boris Johnson, les Unes de la presse britannique affichent vendredi un large éventail : d’un affligé « Que diable ont-ils fait ? » (Daily Mail), un reconnaissant « Merci » pour le Brexit (The Sun, Daily Express), au « Pire premier ministre de tous les temps » (Daily Record), en passant par de plus sobres « Johnson jette l’éponge » (The Times) ou encore « C’est (presque) fini » (The Guardian).

En annonçant sa démission, M. Johnson s’est dit « immensément fier » de son bilan, en évoquant notamment le Brexit, la campagne de vaccination anti-COVID-19 et son soutien à l’Ukraine.

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« Ces derniers jours, j’ai essayé de convaincre mes collègues qu’il serait dingue de changer de gouvernement alors que nous réalisons autant de choses […] je regrette de ne pas avoir réussi », a-t-il ajouté.

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« Il était temps ! »

Après deux ans et 349 jours tumultueux au pouvoir, marqués par le Brexit dont il était le héros, la pandémie, l’invasion russe en Ukraine, une inflation record et une montée des conflits sociaux, Boris Johnson a été poussé vers la sortie par son propre camp, lassé par les scandales à répétition et ses mensonges.

Le député britannique conservateur Tom Tugendhat a annoncé jeudi soir qu’il se lançait dans la course pour succéder à Boris Johnson, ouvrant ainsi le bal des candidatures depuis l’annonce du premier ministre.

Dans une tribune publiée dans le Daily Telegraph, M. Tugendhat, chef de la commission des Affaires étrangères au Parlement, a confirmé son intention déjà exprimée auparavant, expliquant vouloir rassembler une « large coalition » pour un « nouveau départ ».

Le partisan du Brexit Steve Baker, de l’aile droite du parti conservateur, a quant à lui indiqué qu’il envisageait « sérieusement » de se présenter.

Selon leurs entourages respectifs, l’ex-ministre de la Santé Sajid Javid, qui a annoncé mardi avec fracas sa démission du gouvernement, et le ministre des Transports Grant Shapps envisagent également tous deux sérieusement de se lancer dans la course.

D’une popularité jadis inoxydable, Boris Johnson avait sombré dans les enquêtes d’opinion après une série de scandales, dont le « partygate », ces fêtes illégales organisées à Downing Street malgré les confinements anti-COVID-19.

Boris Johnson avait varié dans ses explications, provoquant frustration puis colère jusque dans ses propres rangs. La police avait conclu qu’il avait enfreint la loi, mais il avait refusé de démissionner.

Le mois dernier, il avait survécu à un vote de défiance, 40 % des députés conservateurs refusant cependant de lui accorder leur confiance.

Mercredi soir, plusieurs ministres s’étaient rendus à Downing Street pour essayer, en vain, de convaincre Boris Johnson qu’ayant perdu la confiance du parti conservateur, il devait démissionner pour son bien et celui du pays.

De nombreuses réactions à l’étranger

Les États-Unis ont déclaré qu’ils poursuivraient leur « étroite coopération » avec la Grande-Bretagne, y compris leur soutien conjoint à l’Ukraine contre l’agression russe.

« Le Royaume-Uni et les États-Unis sont les amis et alliés les plus proches, et la relation spéciale entre nos peuples reste forte et durable », a déclaré le président américain Joe Biden dans un communiqué.

« Je me réjouis de poursuivre notre étroite coopération avec le gouvernement du Royaume-Uni », a-t-il ajouté, notamment « en maintenant une approche forte et unie pour soutenir le peuple ukrainien alors qu’il se défend contre la guerre brutale de Poutine contre sa démocratie, et en tenant la Russie responsable de ses actes ».

Après des années de relations tendues avec la Grande-Bretagne, l’UE entrevoit quant à elle l’espoir d’une amélioration après la démission du champion du Brexit Boris Johnson, mais la méfiance persiste.

La Commission européenne a publiquement esquivé les commentaires sur le bouleversement politique au Royaume-Uni, mais d’autres personnalités dans l’orbite de Bruxelles se sont lâchées. « Le départ de Boris Johnson ouvre une nouvelle page dans les relations avec la Grande-Bretagne », a tweeté Michel Barnier, l’ancien négociateur en chef de l’UE pour le Brexit. « Puisse-t-elle être plus constructive, plus respectueuse des engagements pris, notamment en ce qui concerne la paix et la stabilité en Irlande du Nord, et plus amicale avec les partenaires de l’UE. Parce qu’il y a tellement plus à faire ensemble. »

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a téléphoné à Boris Johnson pour exprimer sa « tristesse », a déclaré Kyiv. « Nous accueillons tous cette nouvelle avec tristesse. Non seulement moi, mais aussi toute la société ukrainienne qui sympathisons beaucoup avec vous », a déclaré la présidence, citant M. Zelensky, et réitérant à quel point les Ukrainiens étaient reconnaissants pour le soutien du premier ministre britannique depuis l’invasion russe. M. Johnson était considéré comme l’un des plus fervents partisans de l’Ukraine en Occident.

Le premier ministre irlandais Micheal Martin a déclaré que la décision de Boris Johnson de se retirer était « une opportunité » de détendre les relations.

M. Martin a ajouté que les liens entre Dublin et Londres avaient été « tendus et remis en question ces derniers temps », notamment en raison des divergences concernant les accords commerciaux spéciaux post-Brexit en Irlande du Nord. « Nous avons maintenant l’occasion de revenir au véritable esprit de partenariat et de respect mutuel qui est nécessaire pour étayer les gains de l’accord du Vendredi saint », a déclaré Martin dans un communiqué.

Les accords de paix de 1998 ont mis fin à des décennies d’effusion de sang sur la domination britannique en Irlande du Nord, mais ont été mis à rude épreuve par le Brexit.

Le Kremlin a déclaré qu’il espérait que « plus de professionnels » arriveraient au pouvoir en Grande-Bretagne. « Nous voudrions espérer qu’un jour en Grande-Bretagne, davantage de personnes professionnelles capables de prendre des décisions par le dialogue arriveront au pouvoir », a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. « Mais pour le moment, il y a peu d’espoir pour cela. »

« Bye Boris »

La séance hebdomadaire de questions à la Chambre s’était terminée par un « Bye Boris » répété par plusieurs élus.

Mais le premier ministre affirmait qu’il avait un « mandat colossal » à accomplir.

Selon le Pr Tony Travers, de la London School of Economics and Political Science, la longévité du Parti conservateur s’explique par le fait qu’il « se débarrasse de ses leaders quand il pense qu’ils font du mal au parti ». Ce qui lui permet selon lui de dire « regardez, on a complètement changé ».

En attendant, une statue de cire de Boris Johnson a fait son apparition devant une agence pour l’emploi à Blackpool (nord-ouest de l’Angleterre), tandis qu’une pancarte « libre » a fait son apparition sur la réplique de la porte noire du 10 Downing Street dans le célèbre musée londonien Madame Tussauds.

Avec l’Agence France-Presse