Les dirigeants de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) ont formellement lancé mercredi le processus d’adhésion de la Suède et de la Finlande, lors de son sommet à Madrid. Conséquence directe de l’invasion de l’Ukraine, cette décision marque un tournant sur la scène géopolitique européenne. Voici quatre points pour mieux comprendre la portée de l’évènement.

Pourquoi veulent-ils rejoindre l’OTAN ?

L’adhésion des deux pays nordiques à l’OTAN, que doivent encore valider les parlements des 30 États membres, entre en rupture avec la politique de neutralité qu’ils pratiquent depuis des décennies.

Cette position est particulièrement marquée en Suède, dont la dernière participation à un conflit armé remonte à 1814. « Je n’aurais jamais cru voir le Parti social-démocrate suédois [des travailleurs] voter une résolution pour demander l’adhésion de la Suède à l’OTAN », souligne Cyril Coulet, ancien chercheur affilié à l’Institut suédois des relations internationales et spécialiste des pays nordiques, en entrevue avec La Presse.

Selon Cyril Coulet, le « pragmatisme » du gouvernement suédois face à l’invasion russe en Ukraine explique cette décision. En Finlande, l’adhésion à l’OTAN s’impose comme une évidence depuis le début de la guerre, alors que le pays partage une frontière de 1300 km avec la Russie.

Devant Vladimir Poutine, « rien ne vaut la protection de l’OTAN », affirme Charles-Philippe David, fondateur de la Chaire Raoul-Dandurand en études diplomatiques, qui compare l’organisation à une « assurance tous risques ».

Pourquoi la Turquie devait-elle donner son accord ?

Le processus d’adhésion, qui demande l’accord à l’unanimité des États membres, était freiné depuis la mi-mai par le veto de la Turquie. Celui-ci a finalement été levé mardi soir en échange des deux conditions réclamées par Ankara : l’extradition de 33 personnes que la Turquie considère comme des terroristes et la fin des restrictions sur les exportations d’armes imposées par la Finlande et la Suède depuis 2019.

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Le président turc Recep Tayyip Erdoğan, le président américain Joe Biden, le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg et le premier ministre britannique Boris Johnson

Cet accord suscite l’inquiétude de la communauté kurde et des opposants au régime turc qui avaient reçu l’asile en Suède. En revanche, il constitue une victoire importante pour le président Recep Tayyip Erdoğan.

« Le grand gagnant, c’est Erdoğan, estime Charles-Philippe David. Avec cet accord, la Turquie s’impose comme l’une des grandes puissances importantes du flanc sud de l’Europe, en entretenant de bonnes relations avec l’OTAN, mais aussi avec Poutine. »

Qu’est-ce que l’OTAN gagne à valider cette adhésion ?

Chacun des deux pays fournira à l’organisation transatlantique des ressources militaires stratégiques. Alors que la Suède dispose d’une base de défense importante qui répond déjà aux standards de l’OTAN, la Finlande est prête à assurer un soutien logistique aux troupes occidentales aux portes de la Russie.

L’adhésion de la Suède et de la Finlande permet ainsi à l’OTAN de s’étendre en Europe du Nord en réaction à l’invasion russe. Lors du sommet, le président des États-Unis, Joe Biden, a également annoncé le déploiement de troupes américaines dans différents pays européens, dont la Pologne, la Roumanie et les États baltes.

L’Europe se réarme, et les pays qui étaient complaisants ou volontaires pour coopérer avec la Russie dans le passé ne le sont plus du tout.

Charles-Philippe David, fondateur de la Chaire Raoul-Dandurand en études diplomatiques

De son côté, le premier ministre britannique, Boris Johnson, s’est félicité de cet accord en interpellant directement Vladimir Poutine. Poutine « espérait moins d’OTAN sur son front occidental après son invasion illégale de l’Ukraine », mais « il s’est complètement trompé » ; « il obtient plus d’OTAN », a lancé le leader politique.

Comment la Russie réagira-t-elle ?

Une riposte militaire russe apparaît très improbable, d’après Charles-Philippe David. « Poutine a d’autres objectifs à accomplir en Ukraine. Je ne pense pas que cela soit sa principale préoccupation ni que cela soit dans son intérêt », affirme le chercheur.

La présence de troupes russes sur le territoire aérien et maritime des deux pays n’est toutefois pas à exclure, souligne-t-il. Divers incidents de ce type avaient éclaté à la suite du dépôt par la Suède et la Finlande de leurs candidatures à l’OTAN, début mai.

L’annonce de leur adhésion a suscité des réactions contrastées du côté du Kremlin. « Il n’y a rien qui pourrait nous déranger du point de vue de l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN », a assuré Vladimir Poutine mercredi lors d’une conférence de presse. Le président a ensuite ajouté : « En cas de déploiement de contingents militaires et d’infrastructures militaires là-bas, nous serons obligés de répondre de manière symétrique. »

La Russie a jusqu’ici dénoncé les aspirations des deux pays nordiques, y voyant notamment un « facteur déstabilisateur » pour les affaires et la sécurité internationales.

En savoir plus
  • « Nous avons décidé aujourd’hui d’inviter la Finlande et la Suède à devenir des membres de l’OTAN et avons décidé de signer les protocoles d’adhésion. »
    Déclaration commune des dirigeants de l’OTAN
  • 54 %
    Proportion des Suédois favorables à une adhésion à l’OTAN au 21 avril.
    Sondage réalisé par l’Institut Novus
    76 %
    Proportion des Finlandais favorables à une adhésion à l’OTAN au 12 mai. Avant le début du conflit en Ukraine, elle était de 25 %.
    Sondage de la télévision publique finlandaise Yle