(Kyiv) Des missiles russes ont touché dimanche un complexe résidentiel proche du centre de Kyiv, faisant un mort et plusieurs blessés selon les autorités, quelques heures avant l’ouverture d’un Sommet du G7 en Allemagne où il était largement question de l’Ukraine.

L’Institut américain pour l’étude de la guerre (ISW) observe « des séries anormales de frappes russes sur des zones de l’arrière ». Il cite le commandement de l’armée de l’Air ukrainienne selon lequel quelque 50 frappes ont été recensées samedi près de Kyiv, Khmelnytskyï, Lviv (ouest), Tcherniguiv (nord), Mykolaïv (sud), Kharkiv (nord-est) et dans la région de Dniepropetrovsk (centre).

La Russie rappelle ainsi sa capacité à atteindre n’importe quel point du territoire ukrainien, même si l’essentiel des opérations se déroule dans l’est et le sud.

Voici un point de la situation sur le terrain dimanche au 123e jour de la guerre, établi à partir d’informations des journalistes de l’AFP sur place, de déclarations officielles ukrainiennes et russes, de sources occidentales, d’analystes et d’organisations internationales.

La guerre à Kyiv

Quatre missiles ont frappé le quartier à partir de 6 h 30 (3 h 30 GMT), a indiqué à l’AFP Edouard Chkouta, qui habite ce quartier aisé du nord-ouest de la capitale ukrainienne, situé non loin du centre.

Un immeuble d’habitations a été touché et les trois derniers étages — sur une dizaine au total — ont été détruits, a constaté l’AFP sur place. Plusieurs incendies se sont déclarés, dégageant une épaisse fumée brune. Les pompiers ont lutté plusieurs heures durant pour les maîtriser.

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« J’ai vu de mes propres yeux des blessés sortir », a raconté M. Chkouta.

« Je suis allé au balcon, j’ai vu des missiles tomber et entendu une explosion énorme, tout a vibré », a raconté à l’AFP Iouri, 38 ans, qui habite lui aussi ce complexe.

Un des missiles s’est abattu sur un jardin d’enfants à proximité, apparemment sans faire de victimes.

Selon un nouveau bilan fourni dimanche après-midi par le maire de Kyiv, Vitaly Klitschko, « un corps a été retrouvé, six habitants ont été blessés dont quatre ont été hospitalisés, parmi lesquels une fille de sept ans ».

La fillette était « hors de danger » après avoir été extraite des décombres puis opérée à l’hôpital, a-t-il précisé. Sa mère, que les sauveteurs ont mis plusieurs heures à dégager, était elle « dans un état de gravité modérée », a-t-il ajouté.

L’AFP a assisté au sauvetage de la mère de la fillette. Les autorités l’ont présentée comme une citoyenne de la Fédération de Russie, âgée d’une trentaine d’années.

M. Klitschko avait initialement parlé de quatre blessés. Il n’a pas donné de détails sur la personne décédée.

C’est la troisième fois depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine que ce quartier est visé par des missiles. Il avait d’abord été touché mi-mars, puis le 28 avril, lors de la visite à Kyiv du secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres. Une journaliste ukrainienne de Radio Liberty avait été tué.

Le quartier abrite une usine d’armement, dénommée Artem. Fondée à la fin du XIXe siècle, elle produit notamment des roquettes air-air et antichar et des missiles de gros calibre, selon un site militaire spécialisé ukrainien.

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Le ministère russe de la Défense a confirmé en fin de journée que cette usine « était la cible » et qu’un missile russe avait « précisément touché (ses) ateliers ». Il a affirmé que les dégâts causés à l’immeuble résidentiel voisin étaient dus à un missile ukrainien de défense antiaérienne.

Un porte-parole de l’armée de l’air ukrainienne a lui indiqué que les frappes avaient été portées par des missiles, « probablement des X101 », tirés par des bombardiers TU-95 et TU-160 depuis la mer Caspienne. Moscou n’a pas donné d’informations sur les armes utilisées.

« Intimider les Ukrainiens »

Fin avril, un autre bombardement russe avait touché le même complexe résidentiel dans la capitale pendant une visite du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. Une journaliste ukrainienne de Radio Liberty avait été tuée dans son appartement.

Et « aujourd’hui, des civils à Kyiv sont attaqués pendant que le G7 se réunit. (La Russie) comprend qu’il n’y a pas d’armes qui puissent nous faire peur, elle veut que le monde entier ait peur », a tweeté le ministre ukrainien de la Défense Oleksiï Reznikov.

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Le maire de Kyiv, Vitaly Klitschko

Cette frappe russe a effectivement eu lieu quelques heures avant la rencontre des leaders des sept pays industrialisés (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) dans un château des Alpes bavaroises, en Allemagne, mais également à deux jours d’un sommet de l’OTAN, organisation honnie par la Russie, du 28 au 30 juin à Madrid.

Le président américain Joe Biden a qualifié de « barbarie » l’attaque sur Kyiv. Le premier ministre britannique Boris Johnson a mis en garde le président français Emmanuel Macron (dont le pays préside encore l’UE pour quelques jours) contre toute tentative de négocier « maintenant » avec Moscou une paix en Ukraine. Et les deux hommes ont dit voir encore une possibilité de « renverser le cours » de la guerre, selon Downing Street.

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Des secouristes transportent une femme blessée lors des frappes.

Irena, 32 ans, est sortie sur le trottoir avec son fils Makar, âgé de 17 mois. « On est descendus avec notre baluchon d’urgence qui est près de la porte depuis le début de la guerre parce qu’on a dû évacuer », a-t-elle dit.

La dernière frappe russe sur la capitale remontait au 5 juin, et avait visé une usine à la périphérie sud-est, faisant un blessé.

M. Biden, qui est arrivé samedi soir en Europe et participera ensuite au sommet de l’OTAN, est bien décidé à consolider, et sur la durée, les rangs occidentaux face à Moscou.

Boris Johnson avait également appelé samedi les dirigeants du G7 à ne pas « abandonner l’Ukraine », prévenant contre toute « fatigue » dans le soutien à Kyiv et annonçant une aide économique supplémentaire pouvant atteindre 525 millions de dollars, pour porter le total à 1,8 milliard.

« Tout signe de fatigue ou d’affaiblissement dans le soutien occidental à l’Ukraine jouera directement en faveur du président (russe Vladimir) Poutine », avait insisté Downing Street.

Dès l’ouverture du G7, quatre pays, dont M. Biden a déclaré qu’ils seraient rejoints par les trois autres, ont annoncé un embargo sur les importations d’or de Russie-la deuxième exportation russe après l’énergie, qui lui rapporte des dizaines de milliards de dollars.

Cinquième mois de conflit

Le gouvernement ukrainien a réclamé aux sept dirigeants réunis, dès l’ouverture du sommet, plus d’armes et de sanctions contre Moscou.

Après la frappe sur Kyiv, « le Sommet du G7 doit répondre par plus de sanctions contre la Russie et plus d’armes lourdes pour l’Ukraine », a exhorté sur Twitter Dmytro Kouleba, le chef de la diplomatie ukrainienne.

Le président Zelensky a estimé dimanche soir que « les leaders du G7 […] ont un potentiel conjoint suffisant pour arrêter l’agression russe […] Mais ce ne sera possible que lorsque nous obtiendrons tout ce que nous demandons et dans les délais nécessaires : et les armes, et le soutien financier, et les sanctions contre la Russie ».

De son côté, le président russe Vladimir Poutine avait annoncé samedi que son pays allait « dans les prochains mois » livrer en Biélorussie d’Alexandre Loukachenko des missiles capables de transporter des charges nucléaires. Les deux dirigeants ont aussi dit vouloir moderniser l’aviation biélorusse pour la rendre capable de transporter des armes nucléaires-des déclarations qui risquent de tendre davantage encore les rapports entre Moscou et les Occidentaux.

Des centres d’entraînement militaire attaqués

La Russie a déclaré dimanche avoir frappé trois centres d’entraînement militaires dans le nord et l’ouest de l’Ukraine, dont un situé à proximité de la frontière polonaise, quelques jours avant un sommet de l’OTAN dont Varsovie est membre.

Ces bombardements ont été effectués avec des « armes de haute précision des forces aérospatiales russes et des missiles [de croisière] Kalibr », a indiqué dans un communiqué le porte-parole du ministère russe de la Défense, Igor Konachenkov.  

Parmi les cibles figure un centre d’entraînement militaire des forces ukrainiennes dans le district de Starytchi, dans la région de Lviv, à une trentaine de kilomètres de la frontière polonaise.

Les deux autres centres d’entraînement ukrainiens visés se trouvent dans la région de Jytomyr (Centre-Ouest) et dans la région de Tcherniguiv (Nord).

M. Konachenkov n’a pas précisé d’où ni quand ces missiles avaient été tirés, mais l’Ukraine a annoncé samedi que la Russie avait effectué ce jour-là des frappes depuis la Biélorussie, frontalier au nord. Moscou ne s’est pas exprimé à ce sujet.

Après ces frappes, plusieurs brigades ukrainiennes « ont entièrement perdu leurs capacités de combat » et les « plans visant à les déployer dans des zones de combat ont été contrecarrés », a affirmé M. Konachenkov.

Avec ces bombardements, la Russie rappelle une nouvelle fois qu’elle est capable d’atteindre n’importe quel point du territoire ukrainien, même si l’essentiel des opérations se déroule désormais dans l’est et le sud de ce pays.

Sievierodonetsk détruit « à 90 % »

Les forces russes ont obtenu samedi d’importants succès militaires dans l’est de l’Ukraine, s’emparant à l’issue d’une bataille acharnée de la ville stratégique de Sievierodonetsk et pénétrant dans celle voisine de Lyssytchansk.

Le gouverneur de la région de Louhansk, Serguiï Gaïdaï, a confirmé samedi soir l’occupation de Sievierodonetsk, soulignant que la ville était « détruite à 90 %, il sera très difficile d’y survivre ». Selon lui, les Russes ont nommé un « commandant » pour la cité dont il n’est possible de s’échapper « qu’à travers des territoires occupés ».

Les séparatistes prorusses ont parallèlement déclaré être entrés avec les militaires russes à Lyssytchansk. « Des combats de rue s’y déroulent », ont-ils ajouté.

Cette progression sur le terrain est cruciale pour la Russie, qui veut conquérir l’intégralité du bassin industriel du Donbass, déjà partiellement aux mains des séparatistes prorusses depuis 2014.

Par ailleurs, l’Institut américain pour l’étude de la guerre (ISW) a observé « des séries anormales de frappes russes sur des zones de l’arrière ». Il cite le commandement de l’armée de l’air ukrainienne selon lequel une cinquantaine de frappes ont été recensées samedi près de Kyiv, Khmelnytskyï, Lviv (ouest), Tcherniguiv (nord), Mykolaïv (sud), Kharkiv (nord-est) et dans la région de Dniepropetrovsk (centre).

Kharkiv, deuxième plus grande métropole d’Ukraine, résiste à la pression des troupes russes depuis le début de l’offensive le 24 février, mais les missiles s’abattent à nouveau quotidiennement sur le centre-ville.

Et Moscou a déclaré dimanche avoir frappé trois centres d’entraînement militaires dans le nord et l’ouest de l’Ukraine, dont un situé près de la frontière polonaise.