Elle veut déporter les demandeurs d’asile du Royaume-Uni… vers le Rwanda. Et non, ce n’est pas sa première idée délirante.

Elle ? Mais qui est-elle ?

Jamais entendu parler de Priti Patel ? À 50 ans, cette ultraconservatrice aux positions inflexibles est pourtant bien connue au Royaume-Uni, où elle est membre du cabinet de Boris Johnson et ministre de l’Intérieur (Home Office) depuis 2019. C’est elle qui est responsable de la sécurité nationale, du contre-terrorisme et surtout, surtout, de l’immigration.

Pourquoi « surtout » ?

Priti Patel est obsédée par les migrants qui traversent la Manche pour demander l’asile en Angleterre. Ils auraient été plus de 10 000 à risquer leur vie depuis le début de l’année, sur des bateaux de fortune, en partant de Calais, en France. Pour cette « brexiteuse » radicale, qui souhaiterait ramener ce chiffre à près de zéro, c’est un échec.

Y a-t-il une raison pour qu’on parle d’elle ?

Absolument. Son dernier projet de loi, visant à dissuader les clandestins de tenter leur chance, a créé un tollé cette semaine. Elle veut les déporter vers le Rwanda, à 6000 km du Royaume-Uni, en échange d’une compensation financière versée à Kigali ! Un premier avion devait partir mercredi soir avec une dizaine de jeunes hommes à bord : des Iraniens, des Albanais, des Syriens, des Irakiens… Une intervention de la Cour européenne des droits de l’homme a fait capoter le plan à la dernière minute.

Photo JESSICA TAYLOR, archives Agence France-Presse

La ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni, Priti Patel, au parlement britanique.

Mais c’est du délire !

Le pire, c’est que ce n’est pas sa première tentative. Il y a deux ans, son plan était d’envoyer les migrants sur l’île britannique d’Ascension (en plein milieu de l’océan Atlantique) ainsi qu’à l’île Sainte-Hélène (au large de l’Angola). Pour l’anecdote, c’est là que Napoléon est mort en exil…

Merci pour l’anecdote. Il y a autre chose ?

Et comment ! Selon ce qu’a rapporté le Financial Times en 2020, Mme Patel aurait envisagé d’autres stratagèmes démentiels pour empêcher les migrants de rejoindre les côtes anglaises. Il a été question de les parquer sur des traversiers désaffectés et des plateformes pétrolières abandonnées. D’attacher des centaines de bateaux sur la Manche pour créer des barricades. De mettre divers obstacles dans l’eau. De les attraper avec des motomarines et, tenez-vous bien, de construire des machines à vagues géantes pour les refouler sur les plages françaises !

Nous sommes incrédules. Et pourquoi ne l’ont-ils pas fait ?

Apparemment pour des raisons de sécurité.

Mais attendez. Cette Priti Patel n’est pas elle-même une immigrante ?

Oui. Enfin, non. Elle est née à Londres. Mais ses parents, d’origine indienne, ont fui l’Ouganda d’Amin Dada dans les années 1970. C’est là toute l’ironie, relève Christopher Stafford, professeur de politique à l’Université de Nottingham. « Elle encourage le sentiment anti-immigrant et a même introduit des lois sur l’immigration qui auraient empêché ses propres parents d’entrer au Royaume-Uni ! »

Mais enfin, comment est-elle perçue au Royaume-Uni ?

Pour l’opposition, les ONG et la gauche en général, elle incarne le diable en personne. Quand elle a été nommée ministre de l’Intérieur, le groupe militant Liberty a déclaré que Mme Patel avait « voté constamment contre la protection des droits de la personne » et qu’il était « extrêmement préoccupant » de la voir à ce poste.

Photo LEON NEAL, archives Agence France-Presse

La ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni, Priti Patel, en septembre 2020

Et pour la droite ?

La droite réactionnaire l’apprécie. Elle est contre le mariage gai et fut un temps en faveur de la peine de mort. Mais on l’a parfois accusée de harcèlement et de microagressions avec ses équipes. Il y a quelques années, elle a dû démissionner du gouvernement de Theresa May pour avoir tenu des rencontres secrètes avec des ministres et des lobbyistes israéliens, alors qu’elle était responsable du Développement international.

Elle est en revanche très appréciée de Boris Johnson, qui la couve depuis la campagne du Brexit et l’utilise en quelque sorte comme caution morale. « Il [Johnson] la voit comme un bon rempart contre les critiques, souligne Christopher Stafford. Parce que ses parents étaient des immigrants, on aime prétendre que les politiques soutenues par Priti Patel sont raisonnables. »

Politiques raisonnables ? Voilà qui nous ramène au Rwanda…

En effet, le dossier n’est pas clos. Priti Patel se dit déterminée à mener ce projet jusqu’au bout. « On ne nous empêchera pas de faire la bonne chose », a-t-elle déclaré cette semaine. Certains pensent toutefois que cette histoire l’a fragilisée. Et rien ne dit que BoJo, lui-même fragile en raison du scandale du Partygate, pourra la protéger éternellement, même s’il ne cesse d’affirmer le contraire (« I stick with Prit »).

« S’il part, elle part aussi, conclut M. Stafford. Dans tous les cas, il est peu probable qu’un prochain dirigeant voudra l’avoir dans son gouvernement… »

En savoir plus
  • Parents exclus
    Priti Patel a reconnu en 2020 dans une interview sur une radio britannique que ses parents n’auraient jamais pu émigrer au Royaume-Uni selon sa propre politique.
    Source : Agence France-Presse