(Paris) Marioupol, Sievierodonetsk, bientôt une autre ville sans doute. Les Ukrainiens défendent leurs cités avec abnégation, y compris quand la défaite semble inéluctable, une façon de ralentir l’avancée russe, mais aussi de galvaniser le moral des troupes.

Sur les bords de la mer d’Azov, les Ukrainiens ont tenu pendant des semaines le complexe industriel d’Azovstal alors que le reste de Marioupol (sud), en ruines, était déjà sous contrôle russe.  

Depuis quelque temps, Sievierodonetsk semble elle aussi au bord de tomber. L’armée ukrainienne a annoncé lundi avoir abandonné le centre-ville. « Les combats de rue se poursuivent […], les Russes continuent de détruire la ville », a déclaré Serguiï Gaïdaï, gouverneur de la région de Louhansk.  

Mais de cesser le combat, il n’est pas question. Deux villes largement détruites, des semaines de feu à la limite du désespoir, mais pour des enjeux différents.

« Le siège de Marioupol a forcé les Russes à allouer des forces substantielles » pour s’en emparer, explique à l’AFP William Schneider, chercheur à l’institut américain Hudson, estimant que le déploiement de plus de 12 bataillons russes vers le Donbass avait été retardé pour prendre la cité portuaire.

Sievierodonetsk, aux portes de la région, « a une signification politico-militaire plus large », relève l’Américain, dès lors que Moscou veut à court terme « prendre le contrôle de toute la région […] et l’annexer ».

« Martyrs »

Depuis le début de l’invasion russe, les forces de Kyiv ont déjoué les pronostics. La capitale n’est pas tombée, le nord du pays a résisté. Moscou a revu ses objectifs pour se concentrer sur l’Est.

Dans le même temps, la Nation ukrainienne s’est révélée à elle même, derrière la figure auparavant contestée du président Volodymyr Zelensky, devenu le guide charismatique d’une résistance acharnée.

« À Marioupol en particulier, les Ukrainiens peuvent apparaître comme des martyrs », constate une source militaire française sous couvert d’anonymat.  

« Même si c’est désespéré, c’est une façon de garantir le ciment et l’homogénéité des unités, armées de plus en plus par de jeunes soldats ou des volontaires qui ont rejoint la guerre tardivement […] et ont besoin d’être encouragés par l’exemple ».

L’effet est donc largement psychologique, mais aussi extrêmement concret. « À chaque fois que les Russes ont été ralentis dans une ville, ça les a empêchés d’avoir une manœuvre dynamique, de prendre des avantages territoriaux ou de prendre de vitesse l’arme ukrainienne », constate l’officier français.

Pour autant, la méthode est coûteuse. Les forces de Moscou grignotent du terrain et bombardent aveuglément l’adversaire.  Le ministère britannique de la Défense évoquait la semaine dernière des désertions côté ukrainien. « Il commence à y avoir des soldats qui, par la pression, la fatigue, la puissance de feu qui leur tombe dessus, décrochent », confirme le militaire français.  

« Usure »

Kyiv a récemment admis une centaine de morts et 500 blessés par jour. Côté russe, c’est peut-être pire encore. Les chiffres fiables manquent, mais l’histoire de la guerre montre que la défense souffre moins que l’attaque.

Assurément, ce qui se joue est une guerre d’usure. « Le sujet n’est pas la progression russe limitée, progressive, mais plutôt qui use qui, plus vite que l’autre ? », résume sur Twitter Gustav Gressel, analyste au Conseil européen des relations internationales (ECFR).

Pourquoi se battre pour Severodonestk ? « La ville est favorable à la défense », rappelle-t-il. « Si vous pouvez forcer l’ennemi à s’y battre, vous avez de meilleures chances ».

Dans une récente analyse sur le début de la guerre pour l’Institut français de relations internationales (Ifri), l’ancien colonel français Michel Goya relevait que plus de 30 villes ukrainiennes avaient la taille nécessaire pour « résister plus d’un mois à une armée russe complète ».  

S’y s’ajoutent « quatre villes super-bastions de plus d’un million d’habitants » à l’est du fleuve Dniepr, qui coupe l’Ukraine en deux. « En admettant que la ville soit encerclée – préalable indispensable –, il faut comme à Marioupol compter une semaine à une armée combinée russe pour s’emparer de 20 kilomètres carrés de bastion urbain ».

La suite du conflit pourrait donc se figer autour d’autres villes.

La stratégie ukrainienne a été « globalement très efficace. Elle a contribué à faire partir les Russes du Nord et à les bloquer dans l’est », souligne Ivan Klyszcz, de l’université estonienne de Tartu. « Mais alors que les ressources, le matériel de guerre et les effectifs ukrainiens diminuent, la stratégie risque de ne plus être viable ».

Quant au lieu du prochain siège, il est discuté par les observateurs. Au sud, « la zone de Kherson a fait l’objet de plusieurs gains ukrainiens, elle pourrait devenir une ville contestée dans les jours et semaines qui viennent », pronostique Ivan Klyszcz.